Seul contre tous
7.2
Seul contre tous

Film de Gaspar Noé (1999)

Bon sang, cette claque.
Je ne l'avais même pas vue venir.


Et pourtant voilà, dès son premier film, on sent que Noé sera un immense réalisateur, ça crève les yeux. Pendant de longues minutes, j'ai pensé à Jean-Pierre Jeunet, matiné de Délépine et Kervern, une tonalité décalée, avec la voix qui raconte en off et les photos qui reviennent sur le passé : un faux air d'Amélie Poulain et de Delicatessen dans le grain fauve de l'image.


Seul contre tous repose intégralement sur les épaules de Philippe Nahon. Il incarne cette boule de haine, de rage et de désespoir, ce boucher sorti de taule qui déteste le monde entier et a une sourde envie d'en découdre avec lui. Son hyper violence se lit dès les premières minutes du film, dans ce visage fermé, ce regard implacable, cet air patibulaire sur le point d'exploser, ces poings capables de s'abattre jusque sur son (horrible) femme enceinte.


Et surtout, surtout : son agressivité, sa sauvagerie se dévoilent dans ses pensées, auxquelles - fait rare au cinéma, et pourtant, quel potentiel dramatique ! - le spectateur a accès en permanence via la voix off : le boucher passe en effet son temps à bougonner intérieurement, à pester contre l'univers et ses habitants, ressassant inlassablement les mêmes invectives, revenant sur de vieux souvenirs avec un langage des plus fleuris qui ne manque pas de faire sourire par sa crudité et sa grossièreté.


Il en profite pour livrer sa (sombre) vision de l'existence, un void insensé et cruel qui parle de malheur, d'indifférence, de misère et de solitude. Même l'existence de sa fille, qu'il a laissée derrière lui dans une institution médicalisée, ne semble pas à même de lui redonner le goût de la vie.


Les poches vides et forcé de fuir la compagne ignoble qu'il a copieusement tabassée, il fait le tour de tous ses contacts, tous aussi miséreux et paumés que lui, à la recherche d'un billet pour survivre quelques jours en attendant de retrouver un boulot. De déceptions en désillusions, évoluant dans un univers d'une pauvreté sans nom, le boucher va s'enfoncer dans un infernale solitude sociale qui va achever de faire basculer son psychisme (les psy parleraient sans doute de décompensation) vers la folie la plus pure.


Et là, bravo à la mise en scène de Noé qui permet de montrer et de vivre cet enfermement intérieur. Le spectateur est constamment bloqué dans la tête du personnage qui passe son temps à échafauder des plans fantasmés toujours plus cruels, dont les pensées les plus folles, les plus cacophoniques s'entrechoquent en une sorte de magma, une logorrhée torrentielle que rien ne semble pouvoir arrêter.


Il a un flingue avec 3 balles dans le chargeur, il est sévèrement allumé, a tout perdu et on ignore tout de la minute qui va suivre.


Noé interroge une nouvelle fois le cycle de la vie, de la mort - avec aussi la question du suicide - qui semble filer toutes ses oeuvres. La présence, au coeur d'un moment d'action dramatique désespéré, d'un cri de bébé en arrière-plan, est pour moi un nouvel écho de cette problématique qu'on retrouve très bien dans Enter The Void.


Ah ça, je ne sais pas s'il s'agit là de la vision existentielle de Gaspar Noé mais si c'est le cas, ce n'est pas bien optimiste.


Le montage virtuose et très particulier de Noé, qui intercale des phrases en gras et en capitales, ou passe d'un plan à l'autre avec un bruit sourd comme une détonation, m'a énormément plu par son originalité et la dynamique qu'il apporte au récit.


J'ai également rarement vu une scène d'une telle violence et d'une telle crudité que celle qui dénoue le film. Noé semble apprécier ces mises à mort hyper-réalistes et qui s'étalent longuement, rendant témoin le spectateur d'une horreur que rien ne semble pouvoir arrêter. J'ai trouvé que le scénario était extrêmement écrit, parfaitement travaillé, toujours surprenant par le virage qu'il prend et dont on ne peut rien deviner.


J'aurais pu mettre 10 tant je trouve que ce film est un chef-d'oeuvre de cruauté dramatique que cette vision à la première personne rend d'autant plus puissant. Je ne mets que 9 car il est un virage dans le film que je n'ai vraiment pas aimé, où je trouve que Noé a été trop loin, où il est trop extrême - il nous avait prévenus d'ailleurs, par un procédé vraiment inattendu que je vous laisse découvrir - mais voilà, je n'ai pas pu adhérer - trop de glauque tue le glauque. Aucune happy end ne semble possible dans ce monde sans pitié qui ne sécrète que des fous et des misérables.


Il demeure qu'il s'agit là d'un très grand film, singulier et violent, porté par un acteur vraiment dingue et dont les pensées obsédantes m'auront considérablement remuée.


Bref : MAGISTRAL.

BrunePlatine
9
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le 27 janv. 2016

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