Ridley Scott jouit encore selon moi d'une aura qu'il ne mérite plus vraiment, voire qu’il n'a jamais mérité.


Si j'étais particulièrement sévère, je ne sauverais de sa filmographie que 4 films: Les Duellistes, Alien le Huitième Passager, Blade Runner, Thelma Et Louise. Et encore, pour moi, aucun n’est véritablement un chef d’oeuvre. Tout au plus, justement, à chaque fois un digne représentant du genre abordé. (mention spéciale à Blade Runner qui réussit assez bien à mêler film noir et SF)


Le reste, malheureusement, est hautement dispensable, ou carrément nanaresque. Son Robin des Bois est une honte, Son Exodus une interminable blague de mauvais goût.


Avec seul sur Mars, comme chaque fois qu’il revoit à la baisse ses ambitions formelles, et surtout philosophiques ou théologiques, Scott parvient tout juste à façonner un film honnête.


Honnête parce qu’il ne cherche pas plus que de raison à traiter un sujet qui le dépasse.


Honnête mais c’est à peu près tout ce qu’on peut en dire de bien.


Le sujet est connu, à peu près depuis Homère: un récit de naufragé, de survie, transposé ici dans un contexte de science fiction proche, d’anticipation.


Mais précisément, Scott hésite déjà, et cela se ressent nettement dans les flottements du récit, entre deux histoires: celle du naufragé, et celle de la formidable armada qu’il faut mettre en branle pour le secourir. On a beau insister sur les problèmes de communication entre les deux rives de l’océan sidéral, je ne cesse de repenser à ce qu’aurait pu être le film si les scénaristes s’étaient cantonné à un seul point de vue, si ces communications étaient restées impossibles ou partielles: celui du naufragé qui continue de lutter en ayant aucune certitude que des secours viendront un jour. Ou celui des sauveteurs qui apprennent incidemment que leur astronaute est en vie et entreprennent de partir à sa recherche sans réelle certitude. Voilà deux récits qui me semblent beaucoup plus intéressants à traiter précisément parce qu’ils se fondent sur une incertitude universelle: celle que chacun éprouve quotidiennement face au réel.


Mais le scénario mêle ici constamment les deux points de vue, supprimant autant de surprises potentielles, d’occasions de tensions dramatiques.


Posons-nous la question: le spectateur a-t-il envisagé sérieusement que le héros du film pouvait ne pas en réchapper ? Que toute cette énergie ait pu être déployée en vain ?
Evidemment lors de l’exposition du film, tout le monde sait que Mark Watney a survécu, sinon… il n’y aurait pas de film… Mais tout le reste du récit est façonné selon ce modèle: retarder le plus possible la résolution que tout le monde sait inévitable, puisque c’est la loi du genre… Ce n’est pas un véritable problème en soi.
Cette tension là existe bien, entre l’attente créée chez le spectateur et sa venue effective dans le récit. Mais c’est quasiment la seule. Et disons qu’elle n’est pas tout à fait la plus originale que le cinéma, et la fiction en général, aient inventé.


Car, au fond, aucun des obstacles qui se présentent sur la route de Watney ou de ses sauveteurs ne constituent réellement une péripétie. Les problèmes concrets rencontrés pouvaient tous, en d’autres circonstances, avoir été anticipés. Leur venue n’est que le fruit de l’urgence de la situation. La richesse d’un scénario réside selon moi dans sa capacité à faire éprouver le choc de devoir faire face à une situation qu’il était absolument impossible d’imaginer avant qu’elle ne survienne… c’est cela une péripétie. La seule réellement présente dans le récit est celle qui aurait dû entamer le film (nous évitant ainsi la fastidieuse scène d’exposition où l’on présente l’équipage) Mark Watney est vivant, et seul sur Mars. Pourquoi ? Comment ? Voilà des questions qu’il aurait fallu remettre à plus tard, après avoir géré l’urgence.


Une péripétie absente du récit aurait pu être, par exemple, que notre naufragé, dont le but même, en tant que personnage de récit, est de survivre, soit confronté à sa propre volonté d’en finir, de mourir… (je pique l’idée à Homère aussi là…)


A ce propos, on s’étonne même, que le scénario ne se soit pas donné la peine de donner une raison de vivre à son héros. Pour quoi, pour qui Mark Watney accomplit-il ce miracle ? On se contentera d’une sorte d’épiphanie inexplicable et inexpliquée de celui-ci…


Je note au passage combien le personnage qu’incarne Matt Damon tient plus du robot cabotin que de l’être humain. Même si je ne doute pas que les heureux élus d’un éventuel voyage vers Mars soient des sortes de surhommes, je ne comprends pas pourquoi celui-ci ne présente aucune faiblesse, jamais… dans aucune situation. Je ne comprends pas pourquoi les années de solitude et de privation ne pèsent pas plus sur son physique, son moral, sa conscience, etc… Selon moi dans cette situation d’urgence, il y a autant à craindre de soi-même que des dangers extérieurs. Relisons le combat de Crusoé contre ses propres démons, sa tentation de ne plus rien faire, de se laisser aller, lutte d’autant plus importante qu’il n’existe pas d’antagoniste dans un récit de solitude…


Du naufragé, l’astronaute n’empruntera finalement, d’ailleurs plus pour la citation qu’autre chose, que le corps légèrement amaigri, la barbe hirsute et une dernière idée un peu folle mais finalement géniale. Exit les problèmes de fond, ceux qui ne se résolvent pas à coup de Chatterton…


Je m’étonne aussi que dans ce domaine, celui de la vraisemblance scientifique, le film hésite constamment entre des explications (toujours insuffisantes pour un véritable esprit cartésien et scientifique) et des résumés expéditifs pour ceux-qui-se-foutent-de-comment-ça-marche. Le film semble avoir choisi majoritairement la voie de la science plutôt que celle de l’imagination, mais n’assume finalement aucune des deux positions jusqu’au bout. Ni le cartésien ni le poète n’y trouveront leur compte…


Je crois d’ailleurs que si les scénaristes de Seul sur Mars ont cru bon de traiter (bien légèrement toujours) aussi des problèmes matériels, moraux (là encore avec gros sabots) ou politiques posés sur Terre, c’est parce qu’ils connaissaient la faiblesse apparente du récit de naufragé: Le type est seul. Pas de méchant, pas d’allié, pas un dialogue à se mettre sous la dent…


C’est pour ces mêmes raisons qu’il a fallu sacrifier au désormais tristement clichetonnesque récit de journal intime vidéo laissé par le protagoniste. Le héros solitaire, en théorie, n’a pas besoin de parler à qui que ce soit. Et si la littérature a toutes les ressources pour exprimer ce qui se passe dans la tête de ses personnages, le cinéma est un peu coincé… (je suis juste en train de dire qu’à priori l’idée de traiter ce thème du naufragé avec les moyens esthétiques du cinéma n’est pas une bonne idée, ou constitue un véritable défi esthétique...) Et Hollywood n’aime pas les films muets. Le journal intime est donc l’idée du pauvre, rendue ici superflue, parce qu’elle démontre plus qu’elle ne révèle, et sert d’exposition permanente au spectateur abruti ou endormi, ou de simple soupape d’aération, avec ses traits d’humour (franchement répétitifs eux aussi) dans un univers oppressant et anxiogène (enfin tout de même nettement moins qu’Alien, où, à tous les problèmes rencontrés ici s’ajoute la présence du fameux Huitième passager… Question angoisse on a connu mieux, donc)


Vous l’aurez compris, l’occasion pour Ridley Scott de faire un bon film est manquée, parce que les impératifs et les passages obligés qu’Hollywood impose désormais systématiquement à ce genre de grosses productions sont devenus un obstacle insurmontable à des récits complexes, ambigus, originaux… La Finance qui s’est emparé de l’industrie Cinématographique résonne en terme de risques et de retour sur investissement, non en termes de drames, de rebondissements… tout ce qui ressemble à une surprise, à fortiori mauvaise, est forcément signe de déception, et donc de perte potentielle d’argent. (J’observe d’ailleurs avec ironie que le film n’aborde jamais de front les problèmes qu’auraient dû poser le coût du sauvetage. Vaguement le directeur de la NASA invoque cette raison comme un frein… mais finalement le symbole de la conquête et du triomphe de la science feront plier les plus grincheux.. Ici on ne parle plus que le langage de la propagande la plus honteuse.)


Et comme le résume Mark Watney, devenu enseignant, la vie, la survie dans ce monde là n’est qu’une histoire froide et calculée, sans passion, sans relief, sans beauté: il s’agit bêtement de résoudre une suite de problèmes…


Une vision ô combien poétique de l’existence humaine…

antoninbenard
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le 8 nov. 2015

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Antonin Bénard

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