« Only Angels Have Wings » est la contribution d’Howard Hawks, l’un des plus grands génies de l’histoire du cinéma, à la fabuleuse cuvée 1939 d’Hollywood. Si vous appréciez quelques films de cette année bénie, j’espère vous avoir mis l’eau à la bouche avec cette accroche. Dans le cas contraire, je vous encourage très fortement à vous ruer sur tout film sorti en 39 que vous pourrez trouver.


À Barranca, port bananier d’Amérique du sud, la jolie américaine Bonnie Lee fait la rencontre de deux charmants compatriotes, alors qu’elle explore la ville en attendant de rentrer au bercail. Les jeunes gens entreprenants l’invitent à dîner au bar du coin, un bistrot qui fait aussi office de quartier général pour la compagnie aérienne locale.


Au pub, miss Bonnie fait la connaissance des gais lurons qui peuplent Barranca ; outre ses deux soupirants, pilotes, elle rencontre le patron de l’établissement, "Dutchy", sorte de bougon au grand cœur, qui a une peur bleue de tous les aéroplanes. Mais, le chef incontestable, c’est lui, Geoff Carter, un leader né, aussi à l’aise aux commandes d’un avion que parmi les "rampants". Ce soir, la météo n’est pas bonne, mais le sort de la compagnie dépend de sa capacité à servir le courrier, aussi faut-il malgré tout prendre les airs…


Dès les premiers instants, les efforts de reconstitution de Hawks sont frappants. Tout amateur appréciera notamment le soin apporté aux appareils, aux séquences de vol, et la crédibilité générale du film. L’on peut presque ressentir la chaleur moite de la nuit latine, tandis que le vent qui résonne dans les palmiers apporte la fragrance saline de l’océan. À l’exception d’un court passage introductif, le film est cantonné à deux environnements : l’unique piste de la compagnie – une étendue à peine plate, boueuse et mal entretenue – et son quartier général, l’auberge. Ce quasi huis-clos crée une proximité entre le spectateur et les personnages, renforçant le côté profondément humain de l’épopée que le réalisateur souhaite nous raconter. L’atmosphère est magnifique, subtil équilibre d’une nonchalance inhérente à cette région du monde, du courage souvent téméraire de ces pionniers de l’aviation, et de l’émotion toute simple, du quotidien parfois tragique de nos héros.


Le film fera indubitablement rêver tout passionné d’aviation, par son ambiance un peu "aéropostale", et charmera très probablement les fans de ces atmosphères un peu romantiques d’Amérique du sud. Il est cependant intéressant de noter qu’au-delà de ses indéniables qualités de reconstitution et d’immersion, l’œuvre de Hawks possède une portée très universelle, car il s’agit avant tout d’un film sur les hommes, leurs défauts, et toutes les petites imperfections qui les rendent finalement, avant tout, humains.


En ce sens, le film est une franche réussite, car il se révèle tour à tour inspirant et émouvant, et bénéficie en outre d’un casting trois étoiles. Comme toujours, Thomas Mitchell compose un second rôle génial, un pilote vétéran qui aime voler plus que tout au monde. Le charisme de Cary Grant fait effet, comme d’habitude, dans son interprétation du chef de la compagnie, fort et intransigeant. Mais c’est lorsque sa carapace se fissure, laissant entrevoir ses brisures, qu’il se révèle plus touchant encore. Le personnage le plus fascinant est peut-être celui du pilote McPherson, joué par Richard Barthelmess. Il est impossible de ne pas être admiratif de son courage, de sa quête éperdue de rédemption, alors que, rejeté de toutes parts, il doit faire abnégation de l’attitude de ses collègues et brave l’altitude de la Cordillère. Enfin, la belle Jean Arthur, véritable clé de voûte du film, vient apporter sa féminité et sa fraîcheur unique à Hollywood, éclipsant sans peine une Rita Hayworth un peu pâlotte dont c’est l’un des premiers films.


Traitant l’un de ses thèmes favoris – les pionniers – Howard Hawks signe un chef d’œuvre, fourmillant de détails et bénéficiant d’une ambiance riche et immersive. Comme dans la plupart de ses réalisations majeures, ce sont les personnages, en particulier les femmes, qui sont au centre de l’œuvre. S’intéressant aux relations humaines, Hawks développe avec brio sur des sujets tels que le courage, la passion, le deuil, l’amour, et, bien entendu, l’amitié, valeur fondamentale à laquelle ce film semble presque dédié.

Aramis
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le 16 sept. 2015

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Aramis

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