Shanghaï Blues
7.5
Shanghaï Blues

Film de Tsui Hark (1984)

Du pur burlesque, mais génialement décalé

Parce que ce délire survitaminé, permanent, absurde et incontrôlable est aussi un vrai récit romantique – ils se rencontrent sur fond de guerre mondiale et de bombardements, se distinguent à peine sous la pénombre mais s’aiment immédiatement d’amour fou, se perdent immédiatement, et pour dix ans, se cherchent, se retrouvent, ne se retrouvent pas, se retrouvent, sur un rythme toujours plus trépidant – mais la BO, remarquable, ne trompe pas (malgré la présence d’un tuba qu’on imaginerait volontiers dans Laurel et Hardy) – romantisme à l’évidence. Mais bien caché,

Parce que le thème permanent touche aussi, autant, au social et au social le plus âpre. Presque au misérabilisme : dans cet après-guerre qui pourrait être sordide, on donne son sang, par roulements, pour trouver quelques reliefs à manger, autrement on crève de faim dans une ville privée de tout après les désastres de la guerre ; mafias et cambrioleurs (très bondissants) sont aux aguets. Mais le ton n’est pas à Allemagne année zéro. On est, constamment, dans la bouffonnerie. Et la séquence qui pourrait, presque, être la plus tragique, celle où la mafia et la police viennent s’acharner sur les SDF, les anciens combattants, la cour des miracles réfugiée sous les ponts – tout cela tourne immédiatement à la bataille la plus délirante, la plus joyeusement confuse possible (du Laurel et Hardy pur jus, à nouveau, ne manquent que les tartes à la crème) et s’achève avec un couteau furieusement planté dans les fesses d’un policier …,

Parce que, sous le couvert de la pudeur chinoise, où l’on se récrie sitôt qu’un éclat de chair apparaît, où, toujours sur le mode comique on s’acharne à dissimuler (mais pas trop en fait) tout ce qui pourrait dépasser, un peu à la façon dont les metteurs en scène américains contournaient les interdits du code Hays jusqu’au milieu des années 60, un pyjama partagé in extremis, un trou mal masqué dans une robe à l’endroit le plus sensible – pour en arriver, sans en avoir l’air, à un quasi viol après recours à la drogue du violeur (mais avec erreur burlesque sur la cible), à des menaces de mort, couteau sur la gorge pour celles qui n’accepteraient pas, et même jusqu’à envisager, le plus sereinement, un ménage à trois des plus réjouissants – auquel on n’échappera in extremis que par les retrouvailles finales et le départ qui s’ensuit ( au détriment d’un directeur un peu dépassé, apparu comme un cheveu sur la soupe et dénommé … Mao),

Parce que les couleurs explosent en permanence sur l’écran, à la façon d’un pop art essentiellement joyeux,

Parce que, sans qu’on sache exactement par quel miracle, le montage est d’une extrême fluidité – alors que les péripéties, les rebondissements, les ruptures, les quiproquos se succèdent à un rythme effréné, sans que l’incohérence apparente, voire manifeste, ne perturbe en rien l’enchaînement des événements.,

Parce que les trois interprètes, très renommés au demeurant, sur-jouent tellement, avec force grimaces, cris et outrances multiples – qu’ils finissent par jouer beaucoup mieux que bien,

Parce que toute cette folie ne présente à aucun moment la moindre trace de lourdeur

Parce que ce délire survitaminé, permanent, absurde et incontrôlable (mais parfaitement contrôlé) est en réalité définitivement jubilatoire.
pphf
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Une anthologie très aléatoire des critiques publiées sur Senscritique, mais surtout pas un palmarès

Créée

le 20 oct. 2014

Critique lue 563 fois

15 j'aime

2 commentaires

pphf

Écrit par

Critique lue 563 fois

15
2

D'autres avis sur Shanghaï Blues

Shanghaï Blues
pphf
8

Du pur burlesque, mais génialement décalé

Parce que ce délire survitaminé, permanent, absurde et incontrôlable est aussi un vrai récit romantique – ils se rencontrent sur fond de guerre mondiale et de bombardements, se distinguent à peine...

Par

le 20 oct. 2014

15 j'aime

2

Shanghaï Blues
Ryo_Saeba
8

Critique de Shanghaï Blues par Ryo_Saeba

1984, alors que Tsui Hark travaille encore pour la compagnie Cinema City et vient de réaliser Aces go places 3, il décide avec sa compagne, Nansun Shi, de fonder la Film Workshop afin d'obtenir plus...

le 3 oct. 2010

7 j'aime

Shanghaï Blues
bougnat44
8

Un film qui n'engendre pas le blues

Le film commence en 1937, au début de la guerre sino-japonaise où les Japonais bombardent Shanghai, dans la concession française. Deux clowns (l’oncle et le neveu) décident de quitter leur employeur...

le 28 févr. 2021

Du même critique

The Lobster
pphf
4

Homard m'a tuer

Prometteur prologue en plan séquence – avec femme, montagnes, route, voiture à l’arrêt, bruine, pré avec ânes, balai d’essuie-glaces, pare-brise et arme à feu. Puis le passage au noir, un titre...

Par

le 31 oct. 2015

142 j'aime

32

M le maudit
pphf
8

Les assassins sont parmi nous*

*C’est le titre initial prévu pour M le maudit, mais rejeté (on se demande bien pourquoi) par la censure de l’époque et par quelques fidèles du sieur Goebbels. Et pourtant, rien dans le film (ni...

Par

le 12 mars 2015

112 j'aime

8

Le Loup de Wall Street
pphf
9

Martin Scorsese est énorme

Shit - sex - and fric. Le Loup de Wall Street se situe quelque part entre la vulgarité extrême et le génie ultime, on y reviendra. Scorsese franchit le pas. Il n'y avait eu, dans ses films, pas le...

Par

le 27 déc. 2013

101 j'aime

11