D’abord un constat : comment un tel film a-t’il pu passer inaperçu ?


Ensuite, les faits : à l’image de Léa Seydoux, ce Shapito Show est indubitablement fait « de bric et de broc ». En deux parties, elles-mêmes subdivisées en deux – nous voilà donc face à quatre moyen-métrages, habilement enchevêtrés, aux intitulés exhaustifs : Amour, Amitié, Respect, Association. La vie kwa.
Pouvant se voir indépendamment les uns des autres, le film brille cependant de part ce lien ténu qui unit ces quatre historiettes de vacances en un grand tout cohérent que la jaquette du DVD va jusqu’à qualifier de « film-labyrinthe ».


Il s'agit là des destins croisés de gentils losers russes, qui finissent tous invariablement sur les rivages estivaux de Crimée. Lieu de tous les possibles et excès sous le soleil tapant de l’est, la cité balnéaire alors encore ukrainienne de Yalta devient, pendant ces délicieuses 3H30, le théâtre grandiloquent et désopilant où se croisent ces âmes hautes en couleurs et en perdition – tantôt figurante dans l’histoire de l’autre, et tantôt essentielle – Roma Legend, ersatz de la légende du rock russe Viktor Stoi, des lovers du web qui s’improvisent couple IRL, des acteurs ratés, des transformistes, des sourds, des nudistes et beaucoup de russes totalement ivres (ah bon).


Dans cet ahurissant Barnum électrique qui frôle souvent le too much, en a une conscience totale mais ne lui rentre jamais vraiment dedans, l’humour soviet – second degré à souhait et absurde au possible – s'avère étonnement moderne et inonde le film d’un intérêt constamment renouvelé, et ce malgré sa longueur. Entre interludes chantés et dérives psychédéliques, c’est là la réussite flamboyante de Sergey Loban : réussir à tenir sa promesse de bout en bout, là même où ce Shapito Show ne délivre l’intelligence de son écriture qu’au fur et à mesure.


Forcément, cette enivrante mascarade convoque les fantômes de Fellini ou Jodorowsky, mais – et grand bien s’en fasse – va bien au-delà de la simple inspiration postiche, et sait justement trouver son propre rythme, et finalement, sa propre grâce. Expressive et effrénée.


Pour avoir une autre vision de l’ex-URSS, pour sortir des sentiers balisés du cinéma actuel, ce « film labyrinthe », donc, qui a plutôt tout d’un de ces monuments des pays de l'est, massif et clinquant, dans lequel on se perd facilement, nous laissera dans l’attente de se retrouver au prochain film du bolchevik décadent qui a tout d’un futur grand.


Un cirque décidemment pas comme les autres.

oswaldwittower
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le 23 mai 2016

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oswaldwittower

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