Dans les années 1920, Buster Keaton était l’une des plus grandes stars de la comédie. Un précurseur, il écrivait ses scénarios, et réalisaient ses films et cascades lui-même. S’il n’a pas réussi, comme Chaplin, à conserver une indépendance financière tout au long de sa carrière (la faute à un divorce coûteux et quelques mauvaises décisions), cela ne l’a pas empêché de parsemer cette décennie de quelques chefs-d’œuvre comiques.
« Sherlock Junior » raconte l’histoire d’un jeune homme, projectionniste, un peu rêveur et amateur de romans d’enquêtes. Très amoureux d’une jeune fille, qu’il vient demander en mariage, il est la victime d’un rustre qui la convoite, et qui le fait accuser du vol d’une montre précieuse. La mort dans l’âme, il quitte la demeure, erre dans les rues, et s’assoupit lors de la projection d’un film policier…
Toute la première partie est assez banale et convenue, peut parfois arracher un sourire, mais assez rarement. Elle sert plus vraisemblablement à endormir la méfiance du spectateur, alors que le feu d’artifice commence lorsque le jeune homme se prend pour Sherlock Junior durant le film dans le film.
À partir de ce moment-là, le film devient un festival ininterrompu de gags tous plus drôles et imaginatifs les uns que les autres. Il y a une idée de génie à la seconde, et, contrairement à d’autres films de Keaton (« Seven Chances », par exemple), les ressorts comiques sont variés, bien trouvés et novateurs. Avec le soin caractéristique de son style, Keaton prend garde à bien préparer son gag, établissant le contexte et la scène, avant de le réaliser, et évidemment, de surprendre le spectateur là où il ne s’attendait pas.
C’est d’autant plus impressionnant lorsqu’on pense que Buster réalisait l’intégralité de ses cascades lui-même, ce qui explique peut-être pourquoi il était un peu fêlé. Je me permets de citer Wikipédia, à propos d’un joueur de tennis – également l’un des plus grands dans son domaine – John "Big Mac" McEnroe :
Certains spécialistes du tennis n'hésitent pas à utiliser le terme de "génie", tant la technique de McEnroe était empreinte d'inventivité permanente et de simplicité.
Une formule, je trouve, qui pourrait s’appliquer parfaitement à décrire le style et la technique de Buster Keaton dans ce film.
« Sherlock Junior », pas loin d’un siècle après sa réalisation, demeure une œuvre immensément riche, et, dans le plus pur style Keaton, très drôle. Incroyablement inventifs et imaginatifs, les gags s’enchaînent à toute vitesse et, après un début poussif, l’on n’a pas le temps de s’ennuyer. Quarante-cinq minutes de bonheur, disponibles en qualité décente sur YouTube, il n’y a vraiment aucune raison de passer à côté de ce petit chef d’œuvre…