Jack Torrance accepte le poste de gardien dans un hôtel paumé au milieu de nulle part (accessoirement construit sur un ancien cimetière indien *facepalm*) et s'y installe donc pour l'hiver avec sa femme Wendy et son fils Danny, non sans avoir été prévenu qu'un précédent gardien avait pété les plombs sous l'effet de l'isolement et avait tué sa famille. Ce film fait donc partie de ceux qui se déroulent en huis clos quasiment total (à part les visions de Jack relatives aux fantômes de l'hôtel), ce qui permet d'instaurer brillamment l'ambiance de ce film d'épouvante. Et oui, je parle bien de film d'épouvante et non d'horreur car pour moi, les deux se distinguent dans le sentiment qu'ils procurent ; l'épouvante est, à mes yeux, beaucoup plus angoissant et pesant, sans verser dans le gore à outrance.
Le fait d'être enfermé dans cet hôtel qui semble gigantesque (sans doute parce que seules trois personnes s'y trouvent) permet de se mettre dans la peau des personnages, et c'est en ça que Kubrick excelle. La caméra suit Danny qui fait du tricycle dans les couloirs. Elle nous perd dans le labyrinthe. Elle nous entraîne dans une course-poursuite absolument glaçante. Et c'est ici plus le talent du réalisateur que l'histoire en elle-même (très courte, dans le fond) qui nous plonge dans l'horreur.
Danny Lloyd (et Tony, le garçon qui vit dans sa bouche) est vraiment, vraiment impressionnant, surtout lorsque l'on sait que Kubrick ne lui a, à l'époque, jamais révélé qu'il s'agissait d'un film d'épouvante. Il est absolument terrifiant, tout en restant un personnage "bon", dans le sens où il est celui qui est supposé arrêter la folie meurtrière de son père. Bien sûr, Jack Nicholson est excellent. Shelley Duvall m'amène à avoir davantage de réserves. Le personnage de Wendy est terriblement plat, et son intelligence doit avoisiner celle d'une tortue sous sédatifs. Mais comme il s'agit là d'un parti-pris du réalisateur, elle rentre parfaitement dans le moule.
The Shining peut sembler inégal à première vue, tant certains passages semblent anodins alors que d'autres glacent le sang. Mais ce n'est pas le cas. Tous les plans sont nécessaires, aucune coupure n'est possible. On assiste, impuissants, à la dégringolade d'un père de famille "ordinaire" qui sombre dans une folie sournoise, discrète, redoutable. Tout au long du film, on aboutit à plusieurs conclusions, qui dans mon cas, se sont révélées fausses. J'ai par exemple pensé, pendant un moment, que Jack avait déjà assassiné Wendy et Danny, et que les fantômes étaient là pour donner une forme de cohérence à son geste. (se déculpabiliser en imaginant qu'un autre homme avait commis le même acte) Cette théorie se révèle fausse, et je regrette presque que ce double-sens que je pensais comprendre à un moment-donné n'existe pas en réalité.
N'ayant pas lu le livre, je ne peux pas comparer les deux, mais d'après ce que j'ai pu lire (Wikipédia est mon ami), King a été en même temps fasciné et déçu par cette adaptation, qui met de côté la réelle cause de la folie de Jack : l'alcoolisme. Si ce thème peut être facilement abordé sur papier, je ne suis pas sûr qu'il aurait pu être suffisamment exploré dans un film de deux heures ; Kubrick a, je pense, fait le bon choix en écrivant le personnage de Jack comme un homme déjà fou avant son arrivée à l'hôtel. Et dans tous les cas, je suis impatiente de me procurer le livre pour découvrir une histoire sensiblement différente.
En ce qui concerne l'oeuvre cinématographique en elle-même, je comprends maintenant pourquoi elle a marqué l'histoire du cinéma. Excellemment bien réalisée, jouée, montée, elle surprend et dérange mais ne peut pas laisser totalement froid. L'image est belle, l'ambiance est bien présente, et la musique se fond parfaitement avec l'ensemble. Ce film mérite largement sa place au panthéon de l'épouvante.
