Shining, où comment rater une adaptation et réussir un film.

Shining, l’un des rares fruits du maître Stanly Kubrick, est le type de film, à l’instar d’un Blade Runner et d’un Conan le Barbare pour citer deux perles pas du tout du même genre, qu’il est, à mon avis, nécessaire de voir une deuxième fois afin de se forger une opinion plus objective, et plus solide.


Un premier visionnage catastrophique...
La première fois que j’ai vu ce film, je devais avoir 14 ans, nourri jusqu’à plus soif des Griffes de la Nuit et Vendredi 13, à ce moment, le film d’horreur idéal à mes yeux était le slasher débile rempli de clichés et de jump scare putassiers.
Puis vient Shining.
Vu sur ordinateur (conditions mauvaises), le visionnage était laborieux. Atrocement long, le long métrage perçu comme l’un des prophètes de l’horreur s’est avéré être une œuvre ayant énormément vieilli, et les scènes dites impressionnantes qui sont tellement ancrées dans la mémoire collective et la pop-culture ne sont pas si impressionnantes que cela...


Et surtout, ce qui fait défaut au film, c’est le monde, le gouffre infranchissable qu’il y a entre le livre dont lequel il est tiré (éponyme, de Stephen King) et lui même, qui ne lui rends pas du tout justice.
Là où le livre est impressionnant et épique, le film est minimaliste, là où le livre fiche les jetons, le film prête à rire, là où Wendy est blonde et belle, Wendy est quelconque et dérangeante, là où le roman se termine dans le feu, le film se clôt dans le froid et la glace. Stephen King dira lui même détester ce film, comme s’il reniait lui même sa propre création.


Un deuxième visionnage nécessaire
Au vu de la popularité du dit film, de son impact sur le cinéma d’horreur et le cinéma en général, un deuxième avis quelques années plus tard semble obligatoire, en faisant (du moins en essayant de faire) abstraction du livre et en se rappelant que Shining, eh bien il a tout de même plus de 35 ans, donc en remettant l’œuvre dans son contexte, on devient moins sévère et plus objectif et le deuxième visionnage est plus positif.


Donc, Shining mérite-il sa réputation de chef d’œuvre du cinéma d’horreur ?
C’est malheureusement compliqué…


Là où le film échoue
Trop de trop. Trop de scènes illogiques, sans explication rationnelle ou mystique. Trop de on-dit, d’allusions non mises en avant qui perdent le spectateur dans un voyage à la limite de l’expérimental, qui n’aident pas à la compréhension. Trop de questions sans réponses.
A quel moment Jack devient il fou ? Pas de transitions, pas d’événements déclencheurs, en l’espace d’une scène, Nicholson devient barjot, pourquoi ce brusque changement ?
Quelle est la véritable origine de la folie de Jack dans cet hôtel ? Le cimetière indien ? L’ancien gardien ayant massacré la famille ? Où tout simplement la solitude ?
Quel est le rapport entre la chambre 237 et le reste de la tragédie de l’hôtel Overlook ? Pourquoi ce gros plan sur la photographie de 1921 à la fin du long métrage ? Pourquoi Nicholson se trouve dessus ? Pourquoi seulement les jumelles et le père ? Où est la mère ? Pourquoi un homme déguisé en animal pompe le mec à la fin ? Pourquoi l’ami imaginaire de Danny est-il un putain de doigt ???
Le film est par ailleurs très très long, et derrière certaines scènes surprenantes et cultes, il y a tout de même un flot de scènes assommantes, limite contemplatives, et le fait que le film se déroule quasiment toujours en pleine journée avec une clarté toujours impressionnante ne permet pas trop de frayeurs.


Là où le film réussit
Des images tout de même magnifiques, Kubrick, maître de l’image, donne des plans fixes et des plans séquences absolument mémorables, que ce soit la scène d’introduction, les scènes dans le labyrinthe, où ce fameux travelling à la perfection inégalée lorsque Danny joue avec son tricycle dans les couloirs de l’hôtel, on est clairement dans un produit "Kubrickien" et ça fait du bien.


Une bande son originale et angoissante à souhait, qui donne une force supplémentaire au film et à l’histoire, est de mise. La reprise au vocodeur de Songe d'une Nuit du Sabbat de Berlioz est diablement culte, et le montage sonore est d'une qualité rare.


Un casting exceptionnel, que ce soit Jack Nicholson dans un des rôles de sa vie (impossible de l'imaginer sans Shining dans sa filmographie), ses sourcils diaboliques, son rictus satanique et sa tête de fou, il marquera à jamais le cinéma d'horreur et son interprétation imprévisible et à la fois naturelle et surjouée (il est fort le mec !) fait aujourd'hui partie de la pop-culture au sens large et hante encore les nuits des pauvres gamins étant tombés sur ce film trop jeunes.Shelley Duvall, qui ne trouvera jamais un autre rôle de cette importance, dont les grands yeux exorbités, la dentition imparfaite et les cris authentiques dans la salle de bain hantent encore les mémoires (de même que le Here’s Johnny mythique et dérangeant) et Danny Lloyd, dont les gros plans fixes situés sur sa terreur rajoutent encore à la folie du long métrage.


Voir ce film autrement aide aussi à mieux le cerner. Tous les défauts cités ci dessus, toutes les questions sans réponses, toutes ces thématiques non traitées en entier ne sont que le reflet de ce que vit Jack Torrance au quotidien, le but est de perdre le spectateur dans la même folie maladive que lui. Il ne faut pas voir ce film comme un film d’épouvante typique et conventionnel où il est question du diable, de fantômes, etc. non, mais comme un voyage dans cette dimension parallèle qu’est la schizophrénie de Jack, sans repères, sans explications, tout comme ce labyrinthe symbolisant un parallèle avec l’hôtel.


L’aisance de Kubrick à donner aux décors une importance à part entière font de ce film une pépite d’angoisse qui plonge le spectateur dans la folie grandissante de Jack, que ce soit dans l’omniprésence de ces miroirs (permettant de matérialiser la vie intérieure de Jack selon le cinéaste), ces couleurs tapes à l’œil aux plafonds et murs, dans la présence de ce labyrinthe et même tout simplement cet hôtel immense et vide, aux pièces démesurées. L'aisance du cadrage du réalisateur, unique en son genre, renforce encore plus cet aspect.


Derrière le mythe
Une œuvre intemporelle, pas très conventionnelle. Shining est détestable, frustrant et en même temps unique, génial et dense. Cette unicité vient du fait que le film ne ressemble à aucun autre film d’épouvante et se démarque de par ses qualités comme ses défauts. Dans son genre, Shining fait office de perle du genre, de référence et en même temps d’outsider. Loin d’être le meilleur film d’horreur de tous les temps, Shining reste une expérience cinématographique hors normes, une collision entre deux génies, King et Kubrick, une collaboration magique entre un cinéaste perfectionniste et un acteur prodigieux, et peut-être le meilleur exemple de la mise en scène de la folie sur grand écran.

Tom Bombadil

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