Short Cuts par busterlewis
America ! America ! Terre de grandeur, terre de liberté ! Terre du possible et terre d’excès. Dans l’Ouest qui n’a plus rien de sauvage, les indiens ont laissé la place à des américains drogués au coca, au gazon bien tondu, au coffee shop et aux bars branchés. Qui mène la meilleure vie du côté d’Hollywood ? Qui peut se targuer d’avoir la plus belle gonzesse, la plus grosse bagnole ou la plus grande baraque ? Qui peut montrer à ses voisins, à sa famille qu’il a réussi et que sa paire de couilles n’y est pas pour rien.
Tous les personnages de Robert Altman vivent côte à côte, quelques pauvres, un couple de riches et beaucoup de middle class. Tous se rencontrent, se mélangent à un moment donné car tous fréquentent plus ou moins les mêmes lieux. Et pourtant, Altman ne cesse de nous dire qu’ils sont vraiment différents (dans leur mode de vie, dans leur métier, dans leur façon de concevoir l'existence, de la gérer) mais sur un nombre incalculable de points, ils se retrouvent, ils se rejoignent. Derrière l’individualisme américain, derrière la magnificence de l’American Way of Life se cache des boulimiques, des gens qui pensent qu’ils vivent sur une terre de liberté et qu’ils peuvent donc jouir sans entrave.
Le portrait de trois heures de ces différents couples, ménages et individus est à la fois tendre, mordant, caustique, comique, grotesque et triste. Altman navigue entre des scènes bien pensées (les trois amis qui matent sans gêne le cul de la serveuse devant son petit ami, ces mêmes trois amis qui pêcheront à côté d’un macchabé pour ne prévenir la police qu’après) et des dialogues savamment écrits (les leçons de Robert Downey Jr en matière de drague ou l’emploi de Jennifer Jason Leigh qui excite de façon crue les hommes grâce au téléphone rose). Et parfois les deux se recoupent. La situation dérape vraiment. Ces individus font exploser leur quotidien qui ne tient de toute façon qu’à un fil. L’une des meilleures séquences est celle où Julianne Moore répond à l’interrogatoire de son ami (Matthew Modine - cf photo ci dessus) qui lui demande si oui ou non elle a embrassé tel type à une soirée il y a trois ans. On peut se demander, quelle importance de revenir sur un évènement si lointain, mais le fait d’ignorer la réponse empêche cet homme d’avancer. Il presse et presse encore sa compagne qui, le cul et la sexe à l’air (Julianne Moore joue à merveille une scène aussi dramatique dans les dialogues mais si décalée dans la situation) lui avoue que non seulement elle a embrassé l’intéressé mais qu’ils ont baisé dans sa voiture. Elle était saoule, voilà sa triste confession.
Et tous dérapent, tous pètent les plombs car leur petite vie rangée, leur quotidien organisé et leur caractère sans reproche ne supporte pas ce jeu de l’apparence. Ils ne parviennent pas à jouer les individus si parfaitement domestiqués. Un concert de musique classique les fait chier et ils préfèrent discuter et regarder l’animateur d’un jeu télé qui se trouve dans la salle.
Altman met aux grands jours les mensonges et les vraies préoccupations de chacun. On se délecte devant ce portrait qui n’est pas hargneux, qui n’est pas un jugement mais qui est un portrait juste, honnête, drôle et triste d’une Amérique qui se laisse aller.
Quand on pense après coup au Magnolia de Paul Thomas Anderson, on y retrouve beaucoup de similitude. Le film de l’élève est brillant mais il s’inspire largement de celui du maître.