L'Exécuteur
6.5
L'Exécuteur

Film DTV (direct-to-video) de Ric Roman Waugh (2017)

Le film de prison est un sous-genre du film noir qui compte son lot de chefs-d’œuvre et même si il se fait plus rare dans la production mainstream, il est toujours vivace sous différents formats (on se souvient notamment de la fantastique série OZ). On retrouve toujours ses codes avec plaisir : ses gangs raciaux, ses matons corrompus et les coups de poignards artisanaux. Chaque nouveau film nous permet de nous mettre à jour sur les innovations du système carcéral américain. Ancien cascadeur passé à la réalisation Ric Roman Waugh semble être un grand amateur du genre puisque Shot Caller est son troisième film dans le genre après Snitch avec Dwayne Johnson et  Felon. Shot Caller dont il signe comme pour les précédents le scénario est de loin son meilleur opus. Le film raconte la transformation en prison, -après avoir été condamné suite à un accident de voiture en état d'ivresse qui coûta la vie à un de ses amis-, d'un père de famille aisé en gangster endurci. Shot Caller débute à sa sortie de prison où il doit coordonner une livraison d'armes pour le compte d'un caïd resté derrière les barreaux et surnommé "The Beast", une série de flashbacks nous révélant les circonstances de cette transformation.


Le Jaime Lannister de la série Game of Thrones  Nikolaj Coster-Waldau livre une interprétation impliquée passant du yuppie innocent au gangbanger implacable faisant de Jacob une énigme mutique à la Clint Eastwood. Les cheveux gris lissés en arrière, une moustache de gaulois et le corps couvert de tatouages dignes du Robert De Niro des Nerfs à vif qu'il cache derrière une chemise de bûcheron boutonnée jusqu'au col, cette apparence, à la fois graphique mais authentique, est à l'image du film. Shot Caller est certes une série B, mais son auteur y apporte un sens de l'authenticité - dans le langage, les lieux et la texture générale - qui lui permet de "vendre" son histoire, on ne doute pas un instant que les prisons peuvent corrompre le plus honnête des hommes puisque le film passe plus de dix ans avec son protagoniste dans l'enfer carcéral, observant en détails la transformation qui s’opère, quoique de manière non linéaire. En effet Waugh lève peu à peu le voile sur son ancienne vie le montrant heureux en ménage auprès de son épouse (Lake Bell) et père aimant d'un jeune fils, les flash-back intervenant après la présentation de son  nouveau milieu  (son retour à la vie civile s'ouvre  par un drive-by) font que ces jours innocents semblent appartenir à une autre vie. Raconté dans l'ordre chronologique Shot Caller aurait pu apparaître comme une mise en accusation d'un système judiciaire qui ruine des vies innocentes mais Waugh semble plus intéressé par l’observation d'un homme intelligent qui découvre et s'adapte à la politique complexe et impitoyable de la vie carcérale que par le film à thèses.


Pour survivre, Jacob est contraint de rejoindre un groupe de skinheads néo-nazis dirigé par le glaçant Bottles (Jeffrey Donovan des séries Burn Notice et Fargo) et son second l'exubérant et tatoué Frank 'Shotgun' incarné par un  Jon Bernthal (le Punisher de Netflix)  une fois de plus  incroyable dans ce film mêlant intensité et fragilité. La structure non linéaire de la narration nous permet de le découvrir  à des années d'intervalles apportant de l'épaisseur au personnage. Jacob finit par gagner leur confiance  lors d'une bagarre massive entre factions rivales dans la cour de la prison. Filmée caméra à l'épaule cette impressionnante séquence, véritable tourbillon de coups de poignards scelle définitivement le destin de Money aggravant sa peine. Il décide alors de couper définitivement les ponts avec sa famille au grand désarroi de celle-ci. Le film joue habilement sur la perspective  d'une réunion  avec sa famille au travers de confrontations émouvantes avec sa femme et son fils, mais Shot Caller n'est pas (tout à fait) une histoire de rédemption. Dans le dernier acte du film Waugh révèle son jeu et celui de son personnage montrant comment les menaces pesant sur sa famille l'ont poussé à se sacrifier et échafauder un plan tortueux pour atteindre le final boss de ce jeu mortel un homme connu seulement comme la Bête, incarné par un Holt McCallany (la série Mindhunter) transfiguré, véritable monstre dont même l'incarcération dans une prison de sécurité maximale ne limite pas le pouvoir qui s’étend à ses gardes. En nous faisant découvrir les conditions incroyables de détention de ces centres de haute sécurité - la "promenade" consistant à être enfermé dans d’impressionnantes cages individuelles - Shot Caller  mêle authenticité et iconisation. Comme tout bon film noir  le film brouille les frontières entre le mal et le bien ainsi l'officier de parole de Money (Omari Hardwick) risque sa propre vie en attaquant un suspect mais n'hésite pas à manipuler ses indicateurs pour arriver à ses fins. Paradoxalement, compte tenu des antécédents de son réalisateur dans les cascades, le film compte peu de scènes d'action, Waugh lui préfère une tension permanente ponctuée de brèves explosions de violence particulièrement brutales.


On sent le réalisateur fasciné par l'aspect tragédie grecque des plongées de Michael Mann dans le monde criminel dont il tente parfois de dupliquer l’esthétique. Si il n'a pas  les moyens de ses ambitions, la résolution est un peu rapide et atténue l'impact des dernières actions de Jacob, il n'en reste pas moins qu'à l'image de son personnage principal les apparences sont trompeuses: derrière le "direct-to-video" générique se cache un très solide film de prison, intense et violent qui aurait tout à fait sa place sur grand écran. A découvrir donc.

PatriceSteibel
7
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le 20 févr. 2018

Critique lue 2.1K fois

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PatriceSteibel

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