Sibyl était écrivaine, puis elle est devenue psychanalyste, et aujourd’hui elle veut se remettre à écrire. Et ce ne sont pas un ami éditeur qui, indirectement et entre deux sushis, la décourage de sa démarche (la scène d’ouverture, très drôle) ni le syndrome incontournable de la page blanche qui vont l’arrêter dans sa nouvelle tâche, cette envie, presque ce besoin. Alors quand une jeune actrice larmoyante et à la masse, enceinte de l’acteur avec qui elle joue sur le nouveau film d’une réalisatrice en vogue et en couple avec cet acteur, lui demande de l’aider à prendre les bonnes décisions (avorter, ne pas avorter, le dire, ne pas le dire, rompre, ne pas rompre…), Sibyl va, secrètement et à l’encontre de toute déontologie, profiter de ses confidences pour rédiger son prochain roman.


Justine Triet retrouve, trois ans après Victoria, sa muse Virginie Efira (magnifique une fois de plus) et le goût de la tragi-comédie contemporaine. À la linéarité de Victoria, elle préfère dans Sibyl un enchâssement de temporalités, d’enjeux et de niveaux de lecture. La fiction s’inspire de la réalité (et inversement), le présent se nourrit du passé (et inversement aussi), le mensonge se substitue au vrai (et inversement encore) comme l’art se substitue à l’affect (et inversement toujours). Sibyl est comme un dédale existentiel fait de passions et de jeux de miroirs (qui cultive un certain côté almodóvarien, la flamboyance en moins), renvoyant chaque personnage à ses failles et ses peurs, ses hypocrisies et ses attentes. Chacun a ses raisons de feindre, de craquer, de s’oublier, et tous souffrent de ne pouvoir, à un moment, choisir ce qui est le mieux pour eux, en tout cas le moins douloureux. Et si tout semble rentrer dans l’ordre à la fin, tout semble prêt, au moindre écart, à s’emballer de nouveau.


Mais c’est, paradoxalement, cette richesse narrative et thématique qui, à la longue, entrave le charme cruel du film. Le scénario s’égare de vouloir raconter trop de choses, de vouloir dire et sur le couple, et sur l’amour, et sur les relations toxiques, le cinéma, l’écriture, l’artiste, la création, la famille, l’alcool, la dépendance… Lentement, on finit par décrocher. Triet entasse, paraît s’y perdre elle-même en ayant du mal à conclure son film. C’est dommage parce qu’il réserve de belles surprises, entremêle, par un montage syncopé, instants fiévreux, jolis décalages et ironie mordante. Et parce que son héroïne borderline, de Paris à Stromboli dont le volcan fumant offre une métaphore certes idéale, mais évidente des crises qui couvent et ne demandent qu’à exploser, résonne un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout (c’est selon) en nous de par sa force, ses égarements et ses maladresses.


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mymp
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le 29 mai 2019

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