Avec Incendies et depuis lors, Denis Villeneuve enchaîne les grands films atteignant même un sommet avec son chef d'oeuvre Enemy. Le voici de retour avec un cinéma plus "traditionnel", plus proche de ce qu'il avait fait avec Prisoners, dont il retrouve quasiment la même équipe reprenant Roger Deakins à la photographie et Jóhann Jóhannsson à la musique. Mais ici il s'attaque à un autre genre de thriller, après s'être intéressé au film de kidnapping, le voilà travaillant sur un film de cartel. La question que l'on peut se poser maintenant c'est, parviendra-t-il à renouveler ce genre comme il était parvenu à le faire pour le précédent ?


Ici le scénario sera trouble et complexe de prime abord, mais si on se rend vite compte que l'opacité de l'ensemble est illusoire. Au final c'est une histoire très simple que l'on nous raconte ici, une histoire qui a d'ailleurs souvent été racontée dans ce genre de film. Peu de surprise donc, et après une première heure qui fait admirablement illusion on se retrouve dans thriller plus classique et donc moins innovant. On ne s'intéresse donc pas à renouveler le genre mais de se servir de ses codes pour montrer les spirales de la violence, celle-ci se montre implacable, sèche et inévitable portant tout son intérêt à travers les personnages. Ce sont eux qui seront vraiment le moteur de l'oeuvre, la trame étant finalement très en retrait au profit des rapports de forces et de manipulations entre les différents protagonistes. Au sein de tout ça, on s'intéressera surtout à trois personnages car même si l'agent de la CIA tend à être assez caricatural il apporte une touche de dérision sur cette histoire qui se fait apprécier et qui contrebalance face au manichéisme. Un manichéisme qui est d'ailleurs représenté par le personnage principal, une femme de principe qui croit aux règles et qui a une vision très unilatéral du monde, pour elle il y a le bien et le mal qui sont séparés par une ligne. Et lorsque que cette frontière volera en éclats, elle se retrouvera dans un monde de violence qu'elle ne comprend pas et qui va l'engloutir. Avec ça l'oeuvre brosse une réflexion intéressante sur ce que représente l'intégrité dans un monde qui en est dépourvu poussant même jusqu'à la situation de la femme dans un monde d'hommes qui veulent la soumettre à leurs volontés pour mieux la manipuler et en faire leur pantin. Elle se retrouve seule au milieu des loups et doit se battre par ses propres moyens. Par contre plus le récit avance et plus elle s'efface au profit du Sicario. Un personnage d'apparence énigmatique mais qui à une histoire relativement cliché. Par contre plus que par son background, c'est vraiment par ses décisions qu'il deviendra un personnage complexe et diablement intéressant néanmoins même si il prend un place centrale durant le dernier tiers du film, c'est un personnage qui gagne à être un second rôle, cela permet de maintenir son aura, son charisme et cette impression de mystère. Donc cette suite annoncée qui sera centrée sur lui s'annonce déjà comme une mauvaise idée qui risque de dénaturer ce premier film. L'ensemble s'intéressant aussi des répercussions de la guerre contre la drogue sur les innocents, ceux qui ne veulent pas s'en mêler. Mais le traitement ici sera plus maladroit, voulant créer l'empathie en nous plongeant dans le quotidien d'une famille mexicaine pour offrir une morale à l'histoire. Le problème est que cela manque de subtilité, on voit très vite où on veut en venir cassant quelque peu le rythme du film. Néanmoins la morale étant dite et l'histoire racontée, cela accentue bien le faîte que toute suite est inutile. On est en face d'une oeuvre complète et maîtrisée même si elle ne renouvelle pas vraiment le genre dans lequel elle s'impose, la rendant assez anecdotique mais diablement efficace.
Le tout étant magistralement interprété que ce soit par l'impeccable casting secondaire ou par le trio principal qui est à son meilleur. Emily Blunt offre une prestation fiévreuse et très juste, arrivant parfaitement à retranscrire le basculement émotionnel de son personnage qui s’enfonce dans l'angoisse et la paranoïa tandis que Benicio del Toro s'impose par son charisme animal et sa froideur. Il offre une prestation glaciale, très noire et monolithique du plus belle effet, apportant l'aura mystique du personnage. Si celui-ci est aussi fascinant c'est en grande partie grâce à la prestation de l'acteur qui est ici dans un de ses meilleurs rôles. Et pour contrebalancer on a Josh Brolin qui assume pleinement les stéréotypes du baba-cool de la CIA, offrant une prestation à la fois dure et drôle qui dénote bien avec le reste du casting. L'acteur n'est jamais aussi bon que lorsqu'il utilise son indéniable talent comique.
La réalisation se montre ici techniquement superbe, même si le montage est un peu trop linéaire il se révèle maîtrisé tandis que le score musical est inspiré et que la photographie de Deakins est encore une fois sublime. Elle est d'ailleurs pour beaucoup dans la réussite esthétique du film, offrant des visions crépusculaires somptueuses à l'image d'un plan de coucher de soleil où un groupe de soldat passe de la lumière à l'obscurité, symbolisant à merveille l'esprit du film. D'ailleurs tout le dernier acte du film est magistralement shooté, avec utilisation habile des visions nocturnes, fusillades intenses dans un tunnel et infiltration prenante et expéditive dans une villa. On est donc face à une mise en scène aboutie de Denis Villeneuve, encore une fois magnifié par le talent de son chef op même si on est quand même pas au sublime niveau de Prisoners. D'ailleurs ici la mise en scène à quelques errances assez agaçantes, elle se révèle parfois ronflante dans sa surexploitation des plans aériens ou encore dans certains plans symboliques assez grossiers, comme quand Villeneuve filme de manière décentré la bordure d'un trottoir lors d'un travelling, symbolisant le décalage de la frontière entre le bien et le mal, les lignes devenant généralement floues. Néanmoins malgré ce défaut, il s'impose en maître de la tension grâce à son côté poseur, offrant des explosions de violences implacables et anti-spectaculaires avec une utilisation habile du hors champ évitant de tomber dans la gratuité.


En conclusion Sicario est un très bon film mais il n'est clairement pas le renouveau que l'on attendait dans le film de cartel. Villeneuve nous avait d'ailleurs promis son meilleur film et pourtant il signe probablement son oeuvre la moins aboutie depuis Incendies. Par contre il n'y a quand même pas de quoi bouder son plaisir, on reste face à un film intelligent et implacable qui tire le meilleur parti du genre dans lequel il évolue car à défaut de le renouveler, il le dynamise avec brio. C'est très bien mis en scène surtout lors d'un dernier acte assez dantesque, plutôt bien écrit et magistralement interprété. Donc pas le chef d'oeuvre que beaucoup attendait mais clairement un très grand moment de cinéma qui mérite le coup d’œil.

Frédéric_Perrinot
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le 13 oct. 2015

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