Probablement le scénariste le plus en vogue du moment, Taylor Sheridan a réussi à imposer une vraie vision de cinéaste à travers des films qu'il n'a pas forcément réalisé. A travers ce qu'il qualifie lui-même de "trilogie de la frontière", débutée par Sicario et achevée avec Wind River, il a imposé ses thématiques avec plus ou moins de savoir-faire mais a aussi montré une certaine incapacité à renouveler son écriture ce qui faisait perdre de la substance à chacun de ses nouveaux scénarios. Du coup, après avoir terminé sa première "trilogie", et avant de se lancer dans la série télé avec Yellowstone, il décide pour son quatrième scénario d'en continuer une plus concrète en offrant une suite à Sicario et en promettant d'ores et déjà un troisième opus. Une démarche qui était loin d'être nécessaire.


Le premier Sicario fonctionnait parfaitement par lui-même et n’appelait pas de suite, ce qui place ce deuxième épisode dans la position ingrate de la transition. Il doit non seulement relancé la machine avec de nouveaux enjeux, nous raconter une histoire qui tient dans son temps imparti mais aussi placer les rails de la suite, un triple exercice où Sheridan ne brille pas particulièrement. L'introduction du film se montre bancale et peu crédible, jouant la carte du terrorisme pour relancer la guerre contre les cartels dans un enchainement de situations poussives et forcées qui aboutit à un attentat low cost où quatre terroristes se font exploser dans une petite supérette de coin de rue. Alors que le film s'évertue à nous montrer la difficulté de passer les frontières, cela en devient ridicule d'envoyer autant d'hommes et monter une opération s'y risquer pour frapper une cible si dérisoire. La scène se veut choc, surtout qu'elle peut l'être dans un climat où ce genre de choses sont devenus beaucoup trop présente dans la réalité, mais elle sonne aussi faux. Car tout l'aspect autour du terrorisme se voit vite éclipsé pour retourner à des motivations finalement assez proche du premier film.


Sicario: Day of the Soldado joue la redite jusque dans la structure de son récit, il commence en plein cœur d'une opération qui s'achève par une explosion puis s'ensuit avec un jeu de chat et de la souris entre la CIA et le Cartel avec une fille un peu paumé prise au milieu tandis qu'il montre en parallèle le destin d'une tierce personne impliqué. Dans le premier film, un flic ripou, et ici, un ado qui sert de passeur pour le cartel. Sheridan ne chamboule pas sa formule et suit la même déroulé que le précédent opus allant même jusqu'à rejoué des situations presque similaires ou du moins assez attendues. Le film souffre aussi de l'absence du personnage d'Emily Blunt, qui apportait un vrai propos au premier film, ici on se retrouve face à une suite dénuée de partie symbolique. Ce qui offre un rendu sans doute plus brutal et ancré dans le réalisme mais qui le fait perdre en pertinence. Cette suite vise avant tout l'efficacité et la trouve souvent notamment dans la relation ambigu entre Alejandro et Matt qui fait le cœur du film et qui éclipse celle un peu trop téléphoné entre Alejandro et la fille d'un baron du cartel qui renvoie encore un peu trop à une relation père-fille. Le film passe d'ailleurs beaucoup de temps à approfondir ses personnages, même si on nage plus que jamais dans des zones de gris au niveau de la moralité, il nuance ses figures masculines qui étaient un peu trop des salauds froids et sans morale dans le précédent film.


Le point positif étant quand faisant ça, le film ne les dénature jamais et ne sacrifie pas son scénario au profit de l'action. Le deuxième acte se montre même relativement excellent dans l'escalade du jeu entre la CIA et le cartel qui offre de bons moments de tensions. Plus réaliste, on nous plonge dans un théâtre d'opérations plus complexes et tentaculaires que celles du précédent Sicario et qui impose des menaces plus diffuses donc encore plus insaisissables. Le film ne ménage d'ailleurs pas ses personnages et arrive à plonger dans un climat d'insécurité bienvenu. Malheureusement le tout s'effondre un peu dans le dernier tiers qui se perd un peu dans une narration trop aléatoire et un récit qui part dans tout les sens, cherchant plus à ouvrir le troisième film qu'à correctement fermer le second. On sent que l'intrigue est relancée maladroitement et commence à tirer en longueur, ce qui accouche d'une conclusion en demi-teinte et d'un climax qui manque de l'intensité du précédent opus. Le casting fait un très bon boulot, surtout Josh Brolin et Benicio del Toro tout deux excellents et partageant une vraie alchimie. Mais on saluera surtout la réalisation somptueuse du film. Darius Wolski reprend à merveille le flambeau de Roger Deakins à la photographie, offrant un résultat dans la continuité mais aussi bien plus sombre et moins esthétisé. Plus dans le réalisme, la photo se montre quand même particulièrement réussi surtout qu'elle s'accorde parfaitement à l'approche beaucoup plus sèche et brute de Stefano Sollima. Le réalisateur italien signe une mise en scène moins élaborée et plus impersonnelle que Villeneuve, mais qui se montre tout aussi pointilleuse et efficace. Les quelques montées d'actions et de violences se font plus crédibles, là où Villeneuve aimait à nous laisser dans le flou, on se retrouve ici au cœur de l'action et Sollima s'en sort avec les honneurs et fait preuve d'un savoir-faire certain dans sa façon de dépeindre et rythmé les opérations stratégiques militaires ou criminelles. Ce qui laisse dire que l'adaptation ciné de Call of Duty est entre de bonnes mains.


Sicario: Day of the Soldado est une suite qui n'avait pas lieu d'être mais qui tire au mieux des cartes à sa disposition pour tirer son épingle du jeu. Malgré son récit qui sent le réchauffé ainsi que son intro et sa conclusion un peu foiré, on reste face à un bon film qui roule à merveille une fois que la machine est lancée. Le premier et le deuxième acte sont exemplaires et tiré vers le haut par un très bon casting et une réalisation au top. Qui même si elle n'a pas la portée ou la virtuosité apporté par le duo Villeneuve/Deakins, Darius Wolski et Stefano Sollima font suffisamment preuve de talent et de savoir-faire pour prendre le flambeau sans rougir. Les quelques sursauts d'actions se montrant même bien plus brutaux et engageants que par le passé. Le problème sera in fine que cet opus à la position ingrate de l'épisode de transition et que l'entreprise fera sans doute plus sens une fois le dernier film sortie. En l'état, Sicario: Day of the Soldado est un bon film mais il manque juste de perspective, de renouveau et de profondeur pour pouvoir se hisser au niveau de son prédécesseur.

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le 2 juil. 2018

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