La loi des séries peut avoir du bon : le spectateur a tellement été habitué à voir des suites décevantes qu’il met souvent toute forme d’attente en sourdine, au point de se ménager la possibilité d’une bonne surprise. C’est presque le cas avec ce retour de certains personnages de Sicario, toujours sous la plume du scénariste ultra côté Taylor Sheridan, mais sans l’autre prodige Denis Villeneuve parti sur des aventures bien plus ambitieuses.


L’ambiance est résolument identique, avec ce cortège d’experts en black-ops à l’épreuve des balles et de toute forme de sentimentalité, prêts à se salir les mains pour servir dans l’ombre la nation américaine. Le début, qui vient greffer des attentats terroristes pour justifier qu’on aille bien loin dans les exactions inquiète un peu, reprenant les problématiques qui faisaient l’ambivalence de la série 24H en son temps. On retrouve aussi cette atmosphère tendue des extractions et passage de frontières, ces colonnes de Hummer et attentes fébriles avec vues en point de vue multiples, notamment depuis les inévitables hélicoptères. S’il n’atteint pas le degré de maîtrise de son prédécesseur, Stefano Sollima ne démérite pourtant pas, et mobilise une mise en scène plutôt efficace.


Mais c’est surtout du côté du récit que Taylor Sheridan tire son épingle du jeu, du moins dans la majeure partie du film. Alors qu’on investit un terrain sacrément balisé – guerre des cartels, kidnapping, vengeance au long cours et dilemmes des justiciers aux mains sales -, la mise à l’épreuve des personnages passe par une série de bifurcations qui parviennent à renouveler le rythme et l’intérêt qu’on porte aux personnages. Il ne s’agit plus d’une mission dont on pouvait déjà anticiper la résolution conventionnelle, mais d’un imbroglio qui vise à montrer comment, quoi qu’on fasse, rien ne changera jamais. Parce que le monde criminel est une hydre à têtes multiples, et que la politique qui lui fait face privilégiera le maintien au pouvoir à de réelles audaces en termes de décisions. Ce traitement permet de retrouver une atmosphère sombre et délétère qui rappelle, un temps au moins, l’écriture de Cormac McCarthy de Cartel ou No Country for old men, sans évidemment en atteindre l’intensité. D’autant que le récit tente une construction parallèle avec un jeune garçon faisant son initiation parmi les passeurs avant une greffe à la trame principale au forceps, et finalement assez dispensable : de ce point de vue, les deux heures bien tassées du film ne sont pas réellement justifiées.


La dernière partie accumule ainsi certaines maladresses : une musique en pooooin pooooin qu’on avait espéré passée de mode et qui fait vraiment tâche (elle a beau être de la même nationalité que feu le compositeur islandais Jóhann Jóhannsson à la composition du premier volet, Hildur Guðnadóttir ne convainc vraiment pas), l’émergence d’un pathos un peu décalé et un postérieur clairement entre deux chaises : Sheridan, définitivement, n’a pas la noirceur ou la radicalité d’un McCarthy, et rebrousse chemin un peu piteusement sur de nombreuses pistes.


Dommage : sur ces landes désertiques et infinies qu’est la frontière US/Mexique, la narration exige une aridité qui soit plus en adéquation avec ce sinistre archétype de l’enfer sur terre.

Sergent_Pepper
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le 31 oct. 2018

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Sergent_Pepper

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