SICILIAN GHOST STRORY (15,5) (Fabio Grassadonia et Antonio Piazza, ITA, 2018, 117min) :


Déroutante chronique d'un amour de jeunesse, entre deux adolescents de 13 ans, enrayé par la disparition mystérieuse du jeune garçon vivant dans un petit village sicilien secret adossé à une forêt où la mafia locale n'est jamais bien loin.


Révélé par la Semaine de la critique 2013 en remportant le Grand Prix avec l’excellent polar mafieux Salvo le duo Fabio Grassadonia et Antonio Piazza (scénaristes et réalisateurs) sont revenus l’année dernière sur la croisette dans la même sélection avec Sicilian Ghost Story une fable noire qui s’appuie sur un fait divers survenu le 23 novembre 1993 où la Cosa Nostra enlève le jeune Giuseppe Di Matteo, fils d’un ancien mafieux repenti devenu indicateur, et le séquestre durant 779 jours. À partir de cette histoire sordide, le duo opte pour nous livrer une romance convoquant les héros romantiques Roméo et Juliette sans oublier le mythe d’Ophée.


Dès la magistrale ouverture au centre de la terre, par le biais d’une caméra flottante remontant avec grâce en frôlant les parois rocheuses humides jusqu’au puits, source de la découverte du jeune protagoniste les réalisateurs promettent une mise en scène interrogeant ce qui est caché en souterrain et ce qui se dévoilera à la surface gangrenée des choses. L’intrigue débute par l’apprentissage amoureux et la réunion de ces deux astres cosmiques dont leurs âmes pures vont s’unir d’un lien planétaire au-delà des étoiles et des maux de deux familles qui ne vivent pas sur la même planète, un amour naissant de plus ne plus solaire au cœur d’une forêt avant que la brume abrupte vienne s’abattre sur le destin de ces amoureux en herbe. Une introduction séduisante avant que l’intrigue nous plonge dans le macabre et suit le déterminisme de la jeune héroïne à la recherche dans les moindres recoins d’indices et de traces de son amoureux.


La mise en scène voluptueuse enveloppe comme dans un écrin, les magnifiques images du chef opérateur Lucas Bigazzi (habituel collaborateur de Paolo Sorrentino), pour nous livrer un conte à l’imagerie gothique convoquée à travers la forêt et un lac marécageux mêlant un univers empli d’onirisme et chargé en divers symboles. La réalisation à la puissance formelle évocatrice amplifie la narration hybride d’une cruelle réalité se troublant au contact de l’étrange afin de se détourner ainsi d’une frontale reconstitution d’actualité criminelle, préférant s’orienter avec brio vers un traitement fantomatique empreint de fantastique, apportant ainsi une réelle singularité à ce radical projet. La caméra prend le temps de suspendre métaphoriquement le temps de façon poétique entre bruissements de feuilles, chouette en guise de témoin, chien noir menaçant, sous l’œil d’une mère acariâtre en guise de sorcière et paysages parsemés de mystère et d’Antique. L’élégance visuelle magnifie les hallucinations fantasmagorique et le récit angoissant narré toujours du point de vue des deux adolescents prompts à la rêverie pour fuir l’effrayante réalité où leur âme fusionne inlassablement par le pouvoir magique et épistolaire d’une lettre écrite par Luna comme lien éternel et relu par Guiseppe pour garder cette connexion vibrante intime toujours vivante avec sa promise.


À la manière du cinéaste Guillermo Del Toro, la plongée dans le monde des rêves pour se substituer aux fantômes du passé, ouvre le champ des possibles permettant de refuser toute résignation et de faire grandir l’amour par le biais de la pensée et le pouvoir de l’imagination, transcendés par leurs souvenirs communs et la flamme de l’espoir qui ne cesse de battre jusqu’au dernier souffle d’une vie…Cette inquiétante tragédie intime est hantée par la sensorielle partition musicale de Soap&Skin, (chanteuse et actrice autrichienne Anja Franziska), dont les sonorités et les chants conviennent parfaitement à l’imagerie virevoltante honorée par la prestation très convaincante de Julia Jedlikowska, amoureuse viscérale et inébranlable et du jeune prometteur Gaetano Fernandez.


Venez accompagner Luna, à travers sa quête éperdue dans ce labyrinthe de songes nébuleux entre battements de cœur et pulsations irréelles au cœur de l’envoûtant Sicilian Ghost Story. Troublant. Absolu. Sauvage. Fascinant.

seb2046
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le 14 juin 2018

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