Mise à l'épreuve, version chrétienne

Pour les connaisseurs de l'univers de Martin Scorsese, nul doute que la symbolique du religieux a toujours été plus ou moins présente dans chacun de ses films.
Le réalisateur américain, qui se prédestinait d'abord à la prêtrise avant de se tourner vers son autre passion, le cinéma, n'a pourtant jamais totalement délaissé cette partie de sa vie, cette fascination qu'il a pour l'aspect biblique des choses et en particulier pour l'image du Christ (ce qu'il avait déjà prouvé en 1988 avec "La Dernière Tentation du Christ"). Et cette image du sacré, il l'illustre très souvent en réponse, tel un miroir tendu, à la violence exercée par les personnages de ses films, comme si l'un ne pouvait plus se passer de l'autre, qu'ils étaient tous les deux intimement liés, jusqu'à se confondre et ne faire plus qu'un pour montrer l'être humain dans son entièreté et sa complexité la plus absurde.
Ce n'est donc pas par hasard qu'en s'attaquant à ce "Silence", Scorsese nous livre là l'une de ses œuvres les plus personnelles. Mûrissant ce projet depuis plus de 20 ans, qui nous raconte l'arrivée de deux missionnaires jésuites portugais dans le Japon du 17ème siècle, là où les chrétiens sont victimes de persécution par l'Inquisition en place, le réalisateur nous propose un véritable chemin de croix amenant, par extension, le spectateur à réfléchir sur sa propre vie et les choix qu'il a fait tout au long de celle-ci.
Une œuvre fascinante et désarmante de 2h40, exempte de bande originale pour souligner encore davantage ce "silence divin" qui parcourt le film, à la fois contemplatif et abstrait (la présence du brouillard qui entoure nos personnages dans la première partie du film pourraient représenté les limbes dont ils sont prisonniers ou par lesquels ils sont pourchassés, conférant un aspect mystique au film), mais aussi violent et très concret (les nombreuses agressions et tortures subies par les japonais chrétiens et perpétrés par l'Inquisition bouddhiste de leur propre pays nous ramène à notre Histoire, qu'elle soit ancienne ou actuelle, et qui a très bien illustrée le fait que la religion peut-être moteur de rassemblement comme de déchirement brutal au sein des peuples).
Mais surtout un film qui dépasse le simple cadre sur lequel il est projeté. Car, quelque soit notre rapport à la religion, la question que se (nous) pose Scorsese, et cela attrait à de nombreux aspects de nos vies respectives, est la suivante : que reste-t-il finalement de nous lorsque l'on est contraint de rentrer dans le rang de la majorité, de sacrifier ce qui forge notre identité propre et qui constitue le moteur de notre pensée ? Se "convertir", non pas pour soi, mais pour les autres, nous éloigne-t-il définitivement de la passion qui nous anime ou au contraire nous renforce-t-il dans notre fort intérieur et nos convictions, que l'on doit désormais caché et gardé secret à jamais ?
Le questionnement que traversent les personnages principaux est aussi, plus largement, un questionnement qui touche chacun d'entre nous, chacun à sa manière, nous renvoyant à notre propre condition d'être humain, avec notre vie, notre parcours, nos choix et nos doutes.
Une œuvre forte donc, qui ne peut pas laisser totalement indifférent et surtout une très belle mise en abyme, proposée tout en subtilité et fragilité par Martin Scorsese avec ce "Silence" méditatif et profondément humain.

Raphoucinévore
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le 11 févr. 2017

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