Le sang des martyrs est le ferment de l'Eglise

Silence n'est pas le meilleur film de Scorsese. Le film souffre de nombreux défauts, à commencer par le choix incohérent de son acteur principal. Je ne sais pas si le choix d'Andrew Garfield a été imposé par les studios ou si Scorsese a perdu un pari un soir de cuite, mais l'acteur est pathétique et ne fait que prouver son manque complet de talent. Tant qu'il jouait dans des films à grand spectacle, ça ne se voyait pas trop, mais ici, devant la caméra d'un cinéaste qui fouille dans les profondeurs psychologiques de ses personnages, le niveau de jeu de Garfield s'affiche au grand jour, et ça ne vole pas haut.
Autre défaut, qui est plutôt rare chez le cinéaste : Silence est un film trop long et trop bavard. D'habitude, Scorsese maîtrise le rythme de ses films, et chez lui trois heures passent en un rien de temps. Mais là, on les sent passer, ces quelques 160 minutes (et ne comptez pas sur moi pour faire un jeu de mot du style « Silence parle trop », même si c'est pourtant bel et bien le cas).
Enfin, j'ai eu trop souvent l'impression d'un esthétisme creux. Faire de belles images juste pour elles-mêmes, sans connexion avec l'histoire racontée. Des belles images qui ne disent rien, qui n'apportent rien.


Et encore, ce dernier défaut mériterait-il d'être tempéré un peu. Car les images dressent quand même un portrait. Le portrait d'un Japon dangereux, décor d'une histoire de souffrance et de mort. Le danger se voit dans le traitement de la nature : pluie violentes, vents tempétueux, gigantesques vagues qui s'écrasent brutalement sur des personnages. Ici, la nature est hostile. D'ailleurs, ce sont généralement les éléments qui tuent les hommes : l'eau, le feu, la boue...
Et c'est là qu'on retombe dans l'univers habituel de Martin Scorsese : la violence du monde. Le Japon est violent parce que le monde entier est violent. L'archipel n'est ici qu'un représentant de ce monde livré à la brutalité et à la sauvagerie, un monde de mort et de tortures en tout genre.
« Le Mal est partout en ces lieux, et je perçois sa force et sa beauté ». Là peut se justifier l'esthétisme du film. La Beauté du Diable, aurait dit René Clair. Si, certes, le cadre est violent, il s'en dégage indubitablement un aspect paisible, serein. Et tout le film est là, dans cette tension entre la violence est la sérénité, dans la quête de sérénité au milieu de la violence (on pourrait même dire que quasiment toute la filmographie de Scorsese est résumée là).
« On trouve notre nature originelle en terre japonaise », dira Fereira (Liam Neeson). Façon de dire que ce décor, tour à tour violent et tranquille, n'est qu'une image. Un paysage intérieur. Une projection de la psychologie des personnages.


Et plus précisément du personnage principal, père Sebastiao (Andrew Garfield).Jésuite envoyé en terre japonaise pour... Pour quoi au juste ? Pour retrouver un père disparu depuis des années ? Pour apporter la Bonne Parole aux pécheurs nippons ? Ou pour se sauver lui-même ? Pour qu'il se façonne à l'image d'un Christ au Calvaire, d'un Christ douloureux en pleine Passion ?
Bien entendu, le fait de calquer le parcours de Sebastiao sur celui du Christ est un procédé plutôt balourd, mais il a le mérite de rendre évidente la volonté du jeune padre. Il est hanté par les images de souffrances du Christ et reste convaincu d'avoir, comme le Sauveur, une mission céleste auprès des hommes. Et, pour accomplir cette mission, il va devoir souffrir comme le Christ a souffert. « J'ai prié pour subir les épreuves comme son Fils ».
Scorsese, une fois de plus, nous montre l'histoire d'un homme hanté par le Mal et par le syndrome du Sauveur. Dans un monde livré à Satan, comment faire pour sauver des pécheurs ? Y compris les sauver malgré eux ?
Il est intéressant de constater que Sebastiao non seulement va délibérément au-devant du danger, mais qu'il pousse les autres dans la même direction. Alors que les Chrétiens japonais vivent cachés au fond de leur village, à l'abri des Inquisiteurs, il veut les mettre en pleine lumière, les réunir en une église aux yeux du monde, quitte à attirer sur eux la colère mortelle des autorités nippones.
D'où la question qui hante le film : souffrir permet-il d'être sauvé ? La théologie doloriste est-elle acceptable, surtout face au silence de la divinité ?


Le film est marqué par un jeu sur l'intériorité et l'extériorité. Jeu qui se retrouve dans les décors, bien entendu : Sebastiao est tour à tour enfermé et libéré, caché , emprisonné ou en fuite. Mais le Japon, par son statut d'archipel, se révèle vite être une immense prison où il est impossible d'échapper à ses bourreaux.
Intériorité et extériorité psychologique surtout. Le christianisme est une religion de l'intériorité. Le Christ a bien dit et répété que ce qu'il cherche, ce n'est pas le respect à la lettre de rituels bien visibles aux yeux de tous, mais l'amour intérieur, le cœur tourné vers la volonté divine. Et toute la seconde moitié du film, avec la question de l'apostasie, entre en plein dans ce débat. Faut-il renier en public son dieu et garder la vie sauve (quitte à continuer à l'adorer intérieurement, en silence) ? Ou faut-il refuser cette apostasie officielle et mourir ?
Le psychanalyste Whilhelm Stekel a dit « L’homme qui manque de maturité veut mourir noblement pour une cause. L’homme qui a atteint la maturité veut vivre humblement pour une cause. » Et c'est à cela que va être confronté Sebastiao : obtenir la maturité nécessaire pour comprendre que sa souffrance et la souffrance des autres ne pourra jamais renforcer la foi. Parfois, l'auto-da-fé consiste à continuer à vivre.


Je trouve le changement de narrateur, à la fin, plutôt bien vu. Ainsi, nous ne connaissons plus les pensées de Sebastiao : officiellement, aux yeux du monde, il a abjuré sa foi et continue à le faire régulièrement, mais que pense-t-il vraiment ? Que se passe-t-il dans le silence de ses pensées ?
Le silence qui donne son titre au film est peut-être celui de Dieu, mais c'est aussi sûrement celui des pensées des personnages.
A ce titre, je trouve que l'image finale du film, sur le crucifix, est une très mauvaise idée. J'aimais beaucoup l'ambiguïté d'un final où le spectateur ne savait pas ce qu'était devenue la foi de Sebastiao. Donner cette information, c'est enlever un peu du mystère du film. Et la foi est un mystère.


Alors, si, certes, le film possède des défauts et ne figurera pas parmi les meilleurs Scorsese, Silence est une œuvre riche et profonde, qui constitue une clé pour comprendre un peu mieux l'univers de son cinéaste.

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le 18 juil. 2017

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