Silent Voice
7.4
Silent Voice

Long-métrage d'animation de Naoko Yamada (2016)

Oui, parfois. Mais écrire à la place, est-ce bien mieux ? Comment expliquer ici une mini frustration, une légère déception, qui avec un 7/10 prouve que j'attendais énormément de ce film d'animation encensé un peu partout. Logiquement, j'aurais dû en faire une vidéo critique sur ma chaine, mais en mode impro comme je le fais d'habitude il m'aurait été difficile d'expliquer pourquoi je ressors un poil frustré d'une oeuvre que j'ai pourtant pris plaisir à regarder et plutôt aimé donc.


Il faut dire qu'en terme de qualité, le Japon sait nous offrir des monuments du genre, comment ne pas évoquer Hayao Miyazaki ou Satoshi Kon à ce niveau ou plus récemment des réalisateurs comme Makoto Shinkai (Your Name.), Mamoru Hosoda (Summer Wars, Le Garçon et la Bête) ou Keiichi Hara (Un été avec Coo, Colorful). Je ne connaissais pas encore le travail de la jeune Naoko Yamada mais vus les commentaires dithyrambiques laissés ici ou là à propos de cet animé déjà disponible depuis 2016 mais qui vient tout juste de sortir chez nous en salle, j'étais dans une expectation assez haletante. Peut-être trop au final.


Voilà peut-être pourquoi je ne peux ériger ce Silent Voice, Eiga koe no katachi en VO, au rang de chef d'oeuvre et ce malgré une idée de départ plus qu'intéressante et passionnante : les causes et conséquences du harcèlement scolaire à propos d'un handicap, à la fois sur sa victime que sur son bourreau. Sujet assez contemporain donc, très important à aborder et très bien amené par le début de ce film qui plante parfaitement le décor : l'arrivée dans une école primaire d'une fille malentendante, Nishimiya, timide et mal dans sa peau par rapport à son handicap, et très mal accueillie par un jeune garçon, Ishida, parfaitement détestable et qui n'aura de cesse de la persécuter jusqu'à ce qu'elle finisse par changer d'établissement.


Silent Voice commence cependant par une scène située des années plus tard, une époque qui sera centrale au film, avec un Ishida totalement changé, isolé, seul dans son lycée car rattrapé par sa réputation et puni pour ses actions passées, au bord du suicide. Le suicide, thème récurrent dans les oeuvres japonaises, ici abordé à deux reprises sans tabou, mais on y reviendra à la fin de cette critique. Juste retour de bâton pour le jeune tyran donc, dont on comprend les tenants et les aboutissants grâce aux flashbacks des années primaires et via quelques scènes quotidiennes d'un lycéen sans grand espoir et qui ne peut plus supporter le regard des autres.


C'est d'ailleurs là qu'on touche la vraie réussite du film : le personnage d'Ishida est parfaitement traité et dépeint, avec quelques astuces visuelles plutôt bien pensées comme ces croix sur le visage des gens autour de lui, renforçant ses peurs (ses regrets ?) et sa solitude, des effets de lumières sur un montage parfois étrange mais efficace, sur le symbolisme habituel qu'on peut retrouver dans d'autres oeuvres du genre et tournant autour de la nature (les carpes, les cerisiers, on reste dans un contexte urbain mais on n'y échappe pas !). Et donc sa rédemption, touchante, mais peut-être un peu forcée voire désespérée à vouloir à tout prix renouer avec celle qu'il a harcelée quitte à même apprendre la langue des signes et à affronter sa mère et sa jeune soeur pour pouvoir justifier un rapprochement, une amitié à la base improbable et impossible.


Or si le personnage d'Ishida est fort bien écrit, le film se cristallise peut-être un peu trop sur lui et celui de Nishimiya en devient presque secondaire, même sa jeune soeur (qui se fait passer d'abord pour son petit ami) est plus mise en avant. Un peu étrange comme approche, même si cela peut se justifier par le mystère (dans son monde silencieux) enfermé dans l'esprit d'une jeune sourde qui s'en veut de ne pas être comme les autres (et de ne pas pouvoir faire mieux, comme elle le dit elle-même, du coup on se perd parfois un peu en longueur et on a du mal à s'attacher la potentielle relation Ishida/Nishimiya qui passe presque au second plan tant on s'intéresse plus, trop donc, à la rédemption de l'ancien harceleur.


Le film est ainsi trop long pour ce qu'il aurait pu/dû montrer, dans l'absolu avec 30 minutes de moins on aurait certainement ressenti la même émotion. Pour que les deux heures se justifient, on aurait selon moi dû plus approfondir les ressentis de Nishimiya, en savoir plus sur ses espoirs et ses craintes. Au fond,


la scène de sa tentative de suicide (avortée par le sauvetage d'un Ishida qui se sacrifie presque au passage)


justifie presque la prise de distance de la réalisatrice envers ce personnage, d'autant plus que tout le film se passe du point de vue d'Ishida (peut-être est-ce cela sa limite ?), mais tombe presque comme un cheveu sur la soupe. Elle a le mérite de surprendre, et d'ouvrir le dernier acte de très belle manière, mais elle sonne comme une tentative d'émotion forcée alors que ce Silent Voice n'avait d'après moi pas besoin de cela pour toucher.


Ainsi la fin est


trop larmoyante en mode, malgré tout, happy end pour totalement convaincre. Peut-être pas assez jusqu'au-boutiste, trop simple en l'état, et encore un poil trop abstraite. Tout est bien qui finit bien, mais trop facilement et presque sans séquelles (à la fois physique et psychologique) pour le héros. Quant à l'héroïne, elle reste presque à l'écart, à l'image du film, en toute logique mais confirme cette petite frustration une fois le visionnage achevé.


Naoko Yamada réalise donc une oeuvre à l'esthétisme poussé et plutôt splendide, à l'émotion convaincante mais qui aurait pu encore plus nous prendre par les tripes, un ensemble réussi mais qui aurait pu être encore mieux. Silent Voice reste en tout cas un film d'animation très intéressant, parmi les meilleurs vus cette année, et on s'en contentera malgré tout.

JuDeMelon
7
Écrit par

Créée

le 28 août 2018

Critique lue 225 fois

2 j'aime

JuDeMelon

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