Faut-il aimer le cinéma, le théâtre et les actrices pour apprécier "Sils Maria" ? La question peut-être posée.
Les amoureux d'un certain cinéma d'auteur à la française, voir même de type Bergmanien - dont je peux être une fois sur deux -, les "mordus" de Juliette Binoche (il y en a beaucoup) et les connaisseurs du cinéma d'Olivier Assayas (moins nombreux) trouveront globalement le film réussi et étonnant sur de nombreux points, sur lesquels je reviendrai plus loin.
Parce que Kristen Stewart partage l'affiche avec Juliette Binoche, certains fans de "Twilight" et ses suites, iront voir le film et seront totalement désarçonnés, agacés et crieront à l'escroquerie pensant que ce film est bavard et "chiant", le stéréotype parfait du film français "intello".
Puis, les autres, plus neutres, apprécieront le film pour ce qu'il est, c'est à dire ambigüe, complexe et au final passionnant parce qu'il renvoie à un thème universel: la peur de vieillir et de ne plus "exister" dans le regard de l'autre.

Plusieurs semaines, après l'avoir vu, mon impression sur le film est toujours aussi forte. Olivier Assayas a réussit ce tour de force ! La première fois - hors "Carlos", cas à part dans sa filmographie -.
Même si le découpage scénaristique du film se compose de quatre parties distinctes et n'est pas exempt de certaines longueurs, l'écriture est d'une intelligence rare et brasse plusieurs sujets qui s'intriquent, dans un étonnant jeux de miroir d'une grande subtilité.
Juliette Binoche n'a pas peur de se mettre littéralement à nu. Saisissant. Même si Maria Enders, est l'archétype de l'actrice entre deux âges, devenue star internationale au talent reconnu, en plein crise existentielle, obligée de se compromettre dans des productions à gros budgets sans âmes pour rester en haut de l'affiche; c'est une évidence, elle y met beaucoup d'elle même, tant le mimétisme entre la carrière de Maria et celle de Juliette s’entremêlent et se confondent. D'autant plus troublant, que l'idée du film vient de Binoche elle-même. Autre point troublant, c'est de voir "Sils Maria" présenté à Cannes, alors que "Godzilla", blockbuster "sans âme" avec la même Binoche, sortait quelques semaines plus tard...

La réflexion ne tourne pas qu'autour de Juliette Binoche, pivot central du film, mais s'interroge sur le rapport que les actrices ont à la célébrité et à la gestion de leur ego tout au long de leur carrière. Avec le personnage de Chloé Grace Moretz - étonnante -, Olivier Assayas interroge le rapport à la célébrité d'aujourd'hui, qui n'est plus le même qu'en 1985. Il renvoie dos à dos deux époques, deux actrices qui n'ont pas le même code de lecture, surtout parce que la plus vieille - Binoche - semble totalement "larguée" face à ces nouveaux modes de communication, prisonnière de son propre prisme égocentrique et bourrées de préjugés au sujet de sa "jeune rivale". Qui est, elle, bien plus intelligente et "talent - tueuse" qu'elle ne le laisse paraître au travers de la mise en scène publique et ironique de sa vie privée... Aujourd'hui, pour réussir, vaut mieux utiliser les réseaux sociaux que se faire utiliser par eux, même si les dégâts collatéraux sont importants - Assayas le montre, mais ne juge pas. Le monde change, avant il fallait prouver avant d'être reconnue, maintenant on est reconnue avant d'avoir prouver réellement son talent...
Moretz, renvoie elle à Kristen Stewart et l'obsession du public de son personnage des "Twilight". Car la Moretz, ambitieuse et qui se sait avoir du talent autre que de s'étaler dans les médias et réseaux sociaux, renvoie aux débuts tonitruants de la belle Kristen Stewart, qui aujourd'hui à réussit à négocier un virage à 180° dans sa jeune carrière en tournant dans des films d'auteurs qui mettent en valeur son immense talent d'actrice - dont "Sils Maria", bien sûr...
Il y a Binoche, saisissante et impériale, il y a Kristen Stewart, forte et subtile. Même si le pivot reste le personnage de Binoche, la force de son personnage n'existerait pas sans le niveau de jeu de Stewart. Elles se répondent de façon sublime. Le rapport entre leur deux personnages est le plus passionnant, car Stewart - son assistante - renvoie Binoche dans ses retranchements, L'oblige à s'interroger sur elle-même et son rapport à l'âge, à la célébrité, à son propre ego...

La pièce de théâtre fictive qui est l'objet de "Sils Maria", aussi base de toutes les réflexions sur le métier d'actrice dans le film, est elle-même un jeu de miroir inversé - une métaphore en quelque sorte - des rapports entre les héroïnes de la pièce et les rapports de Maria Enders (Juliette Binoche) et son assistante Valentine (Kristen Stewart). La vision qu'elles ont chacune de la psychologie des personnages différent et révèle la réalité de leur relation:
- Maria, est restée figée sur l'idée qu'elle s'est faite du personnage qu'elle incarna 30 ans plus tôt, et par là même traduit qu'elle même est restée figée à sa propre "jeunesse", et n'accepte pas ce qu'elle devient.
- Valentine, elle, pourtant plus jeune que Maria, adopte un point de vue plus mature et épouse la pensée de l'héroïne plus âgée, que doit incarner Maria dans la pièce revisitée...
Vu que la pièce traite du rapport de domination-manipulation/soumission en rapport avec la différence d'âge et de génération des deux héroïnes, cela renvoie au rapport ambigüe qu'entretient Maria avec Valentine, qui finira par fuir cette relation toxique, pour vivre pour elle-même et non comme un simple prolongement de Maria...

Au delà de la complexité et de l'intelligence du scénario - dont il y aurait encore de nombreuses choses à dire -, la réalisation est superbement maîtrisée par Assayas. Dans son essence, elle se rapproche d'Ingmar Bergman, qui aurait pu, lui aussi, s'approprier un tel sujet et le traiter à peu près de la même manière. Donc, rien de spectaculaire dans la mise en image, mais il ressort un sentiment de minéralité (les montagnes, la nature, phénomène de météo nuageux...) et d'authenticité voulu par le réalisateur pour approcher l'intime d'une actrice - d'où le choix de l'isolement à "Sils Maria" pour apprendre le texte de la pièce -. Juliette Binoche joue le jeu à fond, et je le pense n'a jamais eu peur de se montrer telle qu'elle est, livre à la caméra un visage naturel, sans fards, montre que les ravages du temps commencent à œuvrer et assume ainsi ne plus avoir le physique de ses 20 ans - ce qui est un contrepied volontaire au personnage de Maria Enders qui n'apparaît, elle, jamais au naturel mais toujours sophistiquée face caméra ou en public... Ou alors est-ce là aussi un jeu de miroir qui envoient aussi à la mise en scène de son propre ego ?

Créée

le 4 sept. 2014

Modifiée

le 22 oct. 2014

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