Un sous-"Shining".
Le point de départ du film de Scott Derrickson est plus ou moins le même que celui de Kubrick: un écrivain en mal d’inspiration, tenté par l’alcoolisme, emménage avec sa famille dans un lieu qui a été le cadre d’un meurtre abominable quelques années plus tôt. Il ne s’agit ici non pas d’un hôtel, mais d’une maison de plain pied, très marquée années 70 (moquette épaisse sur les sols, ambiance terne et grise, absence de lumière). Ellison Oswalt (c’est le nom de l’auteur) a connu une renommée fulgurante avec un livre qui racontait déjà une série de crimes authentiques ; il tente de retrouver l’inspiration en s’installant volontairement dans une maison de l’horreur.
Il découvre dans le grenier un carton contenant une série de bobines de films amateurs en Super 8 qui décrivent, par le menu, l’assassinat des précédents occupants ainsi que d’autres massacres plus anciens. Comme Jack Torrance dans "Shining" (et, de manière plus large, comme la plupart des héros des livres de Stephen King, qui a labélisé le concept), Ellison est un écrivain frustré et en manque de reconnaissance : il a connu son heure de gloire et est prêt à tout pour la retrouver. C’est ce désir de succès qui le pousse à rester vivre dans ce lieu d’épouvante, à subir les méfaits d’un environnement hostile et angoissant, à se repasser en boucle sur son écran ces images insoutenables.

Le réalisateur se repose sur des effets sonores lourdingues (des portes qui claques) pour nous faire sursauter : effets gratuits et sans intérêt car la mise en scène aurait pu se suffire à elle-même (le cadre est relativement angoissant : il s’agit presque d’une version réduite de l’hôtel Overlook…comme dans le film de Kubrick, les couloirs sont des espaces de terreur). Tout est attendu : "Sinister" fait partie de ces films où le spectateur a trois longueurs d’avance sur le protagoniste, et a tout compris avant la fin. Aucune surprise donc, mais ce n’est pas le plus grave : la lenteur et la bêtise du personnage principal nous fait décrocher à mi-chemin et empêche à la fois une identification et une empathie à son égard. C’est à se demander si cet homme a déjà lu les livres qu’il écrit.
Le film esquive sereinement tout ce qui pourrait lui donner une forme d’audace et de complexité : il y a, l’espace d’un instant, l’ébauche d’une possibilité que tout ce que le personnage expérimente soit le résultat d’hallucinations créées par une imagination fertile exacerbée par le whisky (Ellison est un homme nerveux et obsessionnel qui a un penchant très prononcé pour le Jack Daniel's). Hélas, cette éventualité est vite étouffée et on fait un retour rapide à une poursuite de l’intrigue monotone et prévisible.

L’introduction d’images en super 8 était une bonne idée (les seuls plans vraiment effrayants du film, que l’on peut compter sur les doigts d’une main, se trouvent dans ces arrêts sur images très inquiétants car représentant quelque chose d’inconnu, aux contours mal définis). Comme souvent dans les films d’épouvante, c’est ce qui est suggéré qui produit les meilleurs effets. La technique du Found Footage (des images amateurs que des personnages ont laissé derrière eux avant de se faire trucider) n’est pas nouvelle (on ne compte plus les ersatz du "Projet Blair Witch", de "Paranormal Activity", de "Cloverfield" et j’en passe). Au départ, l’originalité de "Sinister" est de proposer un film double, qui met un protagoniste filmé de manière traditionnelle face à ces images amateurs. La caméra subjective, le hors-champ sont des procédés connus mais toujours très efficaces. Seulement le film ne fait que recycler des clichés du genre de manière paresseuse : on retrouve le schéma traditionnel : "une musique assourdissante + un silence + un effet sonore = un sursaut".
Le réalisateur n’a pas confiance en son propre sujet ; il en rajoute, gonfle son film (une version plus sobre aurait été plus puissante ; les scènes de visionnage des films en super 8 sont couvertes d’une musique épouvantable et totalement superflue), et surtout oublie de raconter une histoire plausible (même les récits les plus invraisemblables doivent répondre à une logique narrative ; ici, ce qui se cache derrière la série de meurtres répond à une cause vaguement occulte et tirée par les cheveux)
Scott Derrickson raconte sa rencontre avec le scénariste du film :

"(...) par une nuit froide de janvier à Las Vegas, je suis tombé sur lui et on a décidé d’aller prendre un verre jusqu’au petit matin. Il a avalé cinq caucasiens – un cocktail à base de vodka – et puis, il s’est mis à me parler de Sinister. J’ai été captivé."

Effectivement, après une nuit alcoolisée, on pourrait y croire et trouver son idée géniale, mais attention à la décuite. Le film est parsemé de magnifiques aphorismes tel que : « « Un scorpion, ça a des pattes…mais ça court quand même moins vite qu’un écureuil. » Vous allez me dire, c’est cité hors contexte, mais je vous rassure, c’est aussi con en situation.

J’ajoute enfin que le film bénéficie d’un placement produit éhonté (c’est un écueil auquel on est habitué, mais là, une limite semble avoir été franchie) : le sous-titre du film aurait pu être : "Tribute to Steve Jobs", dans la mesure où il n’y a quasiment aucune séquence dans laquelle le héros n’utilise pas, à des fins vitales, son iPhone ou son MacBook. A tel point qu’à plusieurs reprises, au moment où Ellison fait sonner son Smartphone (sur le mode "Marimba"), la moitié de la salle de projection dans laquelle je me trouvais (et je m’inclus dans ce groupe) a commencé à fouiller frénétiquement dans ses poches pour se saisir de son portable et vérifier qu’il était bien sur silencieux. Un procédé très participatif. C’est la seule réaction que suscite le film en nous en 1h50 de projection.
Frankoix
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le 14 nov. 2012

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