Les guerres ont une place bien à elles dans l’Histoire. Pour le peuple Yézidis, il s’agit d’une notion qui les a dépassés et qui les dépasse encore aujourd’hui. A la suite d’une purification symbolique, la cité de Sinjar n’est plus que cimetière et poussière. On n’y entrevoit que les ombres et les cicatrices des victimes qui témoignent de leur souffrance. Après « Scars of Cambodia », Alexandre Liebert revient, associé au photographe Michel Slomka, pour se tourner vers ce drame qui a débuté en août 2014. Ils attirent l’attention sur la cruauté et la condition humaine, en donnant la parole à tous ceux qui portent encore la peur des uns et les démons des autres. Commence alors par une réparation de la vie et la régénération de l’âme, à travers des récits qui doivent résonner au-delà des frontières.


La barbarie islamiste est un fait, mais il y a souvent des détails que l’on omet pour la bienséance. Ce sont des détails qui comptent, qui tranchent et qui ne cessent de redéfinir l’humanité pour ce qu’il fait et en ce qu’il croît. Les arguments se succèdent avec une tonalité crue et une portée poétique dans cette délivrance. Des femmes s’expriment, sans chaînes, sans bourreau pour les asservir. Cependant, leur présence les hante et ils finissent par apparaitront dans l’esprit des spectateurs, qui ne peuvent qu’écouter ce qu’elles ont à nous dire. Mais ces mots ne sont pas spécialement pour nous ou pour les réalisateurs. C’est avant tout pour eux et pour panser quelques plaies qu’ils nous partagent ce fardeau. Ces confessions sont synonymes de prières, voire de supplice pour ces personnes. Et il serait temps de les traiter ainsi, rien que par notre regard curieux et avisé. La terreur peut se lire à la fois dans ces paroles et dans les images qui les accompagnent, donnant ainsi un corps et un visage à un Sinjar en perpétuelle mutation.


Ce qui n’est pas le cas de leur culture, qui résiste toujours à l’oppression et à toute forme de cohabitation impossible avec leurs voisins. Les témoignages viennent alors remplir un peu plus le portrait d’une absurdité bien réel et qui frappe avec terreur l’innocence même de l’humanité, à savoir les enfants. Mais on ne prend plus la peine de les considérer pour leur humanité, car ils ne constituent plus que du bétail, à vendre et à revendre. Garçons destinés à asservir et Filles destinées à servir, contre leur gré, telle est la réalité que souligne chaque intervenant. Entre les retentissements des bombardements et des appels de détresse, les fantômes finissent également par trouver une place dans ce conte, raconté avec une voix apaisante et superposé à une photographie extraordinaire. L’ironie vient donc du son que dégage ce documentaire et de la gestuelle des Yézidis dans leur discours. Ce qui vient du non-dit et de la gestuelle en dit toujours plus, en rajoute une couche dans cette confrontation introspective, menée avec une empreinte humanitaire et d’un cynisme justifié.


Et quand bien même il serait possible de célébrer un retour à la vie, ce ne sera qu’à moitié la vérité ou la guérison tant convoitée. La terre natale n’a plus que le reflet d’une feuille morte derrière la tragédie. Ce que l’on devrait retenir de cette reconstruction, c’est que les piliers sont forgés dans la douleur, qui rassemble un peu plus cette communauté et qui a dû se diviser afin de survivre. Il fallait survivre au mal, régie par le patriarcat et la brutalité qui en découle nous conduit inévitablement à broder un portrait sociologique pertinent, comme un cycle éternel. Et pour cette fois, le film semble pouvoir fournir un sentiment d’espoir dans ses ultimes minutes, mais n’oublie jamais de rappeler que cette lutte existe encore et continuera de nuire au peuple, revendiquant la paix et l’indépendance. Ce sont autant des symboles et des mots qui définissent la liberté qu’on leur a volée et piétinée, pour des raisons que l’on n’évoque jamais en profondeur, mais dont il faut capter l’influence. Ainsi, « Sinjar, Naissance des fantômes » chante en mémoire de ses terres et du sang de victimes, qui espèrent aujourd’hui le repos et l’estime qu’ils méritent.

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le 18 nov. 2020

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