Le générique de Six femmes pour l’assassin est un programme que le cinéaste veillera à respecter avec une rigueur mathématique. Le giallo, nous l’avons assez dit, naît en grande partie avec ce film mais plus important encore, un aspect fondamental du cinéma moderne est ici, par le biais du genre, trivialement mis en scène ; le doute. En effet, les images n’ont plus pour le spectateur cette vérité immédiate du cinéma classique bien que celui-ci le mettait déjà sérieusement en branle tout en faisant son jeu (Hitchcock, Lang). Le choix du lieu, une maison de haute-couture métaphore du Beau est pour Bava, le terrain de jeu idoine pour étudier ses personnages, craqueler leur image d’apparence prend alors chez lui jusqu'à valeur de condamnation de la race humaine. La putréfaction de la chair, la déformation du visage des victimes est moins représentatif de la peur face à la mort que le dévoilement d’une forme qui gît tout juste à la surface ; l’image dans le tapis.
Au cœur du film, la scène du sac peut être vue comme une représentation plastique de ce théâtre des illusions. On découvre qu’une des victimes tenait un journal intime contenant certainement des informations compromettantes pour chacun, une tension s’installe dès lors entre les différents personnages en même temps que se déroule le défilé. Cette scène opère, à tous points de vue, sur le regard ; celui que porte le spectateur sur les personnages et qui ne va évidemment pas de soi mais aussi, plus trivial, celui des personnages sur le sac contenant le journal, centre absolu de l’attention. Seule scène véritablement montée du film sur le principe du champ-contrechamp de Koulechov tandis que l’intégralité du métrage opère sur le mouvement constant de la caméra, elle est manière paranoïaque de représenter le meurtrier en chacun des protagonistes. Le masque du tueur, voile blanc et lisse, semble cacher une forme asexuée et n’est que cela ; un mal qui circule et qui prend dès lors n’importe quel visage. Pour autant, les nombreux mouvements de caméra sur des figures déshumanisées sont moins la possibilité d’émancipation du cadre qu’enfermement sur un monde mortifère.
A la manière dont Norman Bates dans Psychose nettoyait la salle de bains après la scène que l’on sait, Bava s’attarde moins sur le rituel fantasmatique du tueur avant son meurtre que sur l’après ; de longs plans suivent celui-ci trainer les dépouilles de ses victimes, manière implacable de renvoyer l’humain à un simple objet.
L’action ne suivant plus des liens de causalité classique, le rapport au temps diffère lui aussi. L’étirement que Bava effectue sur celui-ci et qui prendra une ampleur tout autre quelques années plus tard chez Argento n’est pas sans rappeler le rituel du duel Westernien chez Sergio Leone. Cette épure de l’action en même temps que son anamorphose naît de la volonté chez ces cinéastes de créer un monde régît par ses propres lois et est, paradoxalement et ce dans la logique de ces films, forme de réalisme.
Le dévoilement, littéral, de l’identité du tueur est alors éminemment déceptif ainsi que les motivations de ce dernier car le film et sa mise en scène s’était efforcée de créer une logique autre ; celle d’un mal qui circule en toutes choses jusqu’à défier, par son don d’ubiquité, les lois mêmes de la physique.