Des mannequins de cire endossant leurs rôles, au sens propre comme au figuré, au point d’être réduites à des silhouettes désarticulées, au fur et à mesure de leurs rencontres avec un boucher élégamment vêtu, dont le visage est masqué derrière un tissu innocent, telle est la recette qu’expérimente Mario Bava avec 6 femmes pour l’assassin. Après La fille qui en savait trop, il continue de poser les premières pierres du Giallo en trouvant pour l’occasion un équilibre subtil entre fond d’une légèreté extrême et mise en œuvre formelle on ne peut plus inspirée.

Du nuancier de l’horreur, il exploite chaque couleur jusqu’à épuisement, teintant es lumières d’une ambiance sans cesse changeante. Mélanges de rouge et bleu pour accompagner les égarements timides des futures victimes, dégradés de violet à mesure que la menace se fait plus précise et de rouge enfin lorsque le tueur sort les griffes, il fait de 6 femmes pour l’assassin une véritable apologie de la couleur, une leçon à retenir pour quiconque souhaitera par la suite baigner ses images dans une atmosphère vaporeuse, tellement surréaliste qu’elle ôte presque à l’image son sens premier, l’horreur qu’elle dépeint lorsque les visages s’entaillent .

Car il n’est presque jamais question d’instaurer la peur dans 6 femmes pour l’assassin. A moins que vous n’accusiez sur l’échelle du temps une dizaine d’années à votre compteur, il y a fort à parier que vous ne tressauterez pas une seule fois devant le film de Bava. L’enquête, simple prétexte à faire évoluer de jolies gazelles dans un univers pittoresque, n’est jamais exploitée pour faire monter un suspens qui vous clouerait au siège. Non, il n’est question ici que de corps, de lumière et de grincement de dents, lorsqu’un poêle chauffé à rouge se charge d’une joue pourtant délicieuse. De belles plantes se précipitant sur leur bourreau comme des souris sur un morceau de fromage, pimpantes et innocentes, pour perdre âme et sourire d’enfant lorsque ce dernier leur ôte la vie, dans la violence et les cris. Chaque mise à mort est alors pour Bava l’occasion de laisser exprimer son savoir-faire : l’association de son sens du cadre à toute épreuve et d’une sensibilité à trouver la douleur par le son faisant de chaque meurtre une leçon en matière d’esthétisation de l’horreur.

Il y a dans 6 femmes pour l’assassin toute l’essence du giallo, cette mixture improbable mais si stimulante entre horreur dédramatisée et recherche visuelle visant à faire des corps une matière première à fort potentiel expressif. En la personne de Mario Bava, esthète et plasticien confirmé, le genre trouvait un artisan de premier ordre pour expérimenter ses premières impulsions, celles qui ont nourri à foison un univers qui s’est depuis exprimé à de multiples reprises; qui a fait couler également beaucoup d’encre.
Les passionnés du genre étant toujours sur le qui vive pour porter cet étendard d’un cinéma décomplexé face à une adversité plus cartésienne, qui se demande, et se demandera toujours, ce que ces pauvres diables peuvent bien trouver à ces films policiers laborieux, peuplés d’acteurs au rabais incapables d’aligner deux lignes sans tressaillir et de personnages si débiles qu’ils fileraient presque leurs coordonnées GPS au tueur qui les traque. La réponse est en partie contenue dans ce masque de bon sens que l’on possède tous, mais que certains prennent plaisir à suspendre, le temps d’une séance, dans une petite boite placée à côté du canapé. Et non, je vous vois venir, la boite a bien été vidée, le masque remis à sa place, avant de saisir ces quelques lignes
oso
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le 22 oct. 2014

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oso

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