Les temps changent, le costume lui sied toujours aussi bien
Je suis un mouton, je me suis empressée de voir ce nouveau James Bond. Dans ce film, les moutons sont légion. Ces citoyens, prompts à suivre l'opinion générale et les politiques, gavés d'informations transmises en direct, persuadés que, vraiment, les permis de tuer et les courses poursuites à Istanbul ça sert plus à rien, on peut faire aussi vite et avec moins de dégâts collatéraux, simplement avec un peu d'astuce et un ordinateur. Le Sony Vaio ira toujours plus vite que l'Aston Martin.
Il se fait vieux le James. Essouflé pendant la moitié du film, le visage et le corps boursouflés, un brin lent à la détente, il est inadapté. Le monde a changé sans que ses méthodes évoluent. Ou si peu, à l'image de son pistolet et de sa radio, toujours les mêmes depuis cinquante ans, avec juste ce qu'il faut d'innovation pour pas être trop ringards. Bond est toujours en retard, toujours dépassé par les événements. A Shanghai, malgré toute la bonne volonté du monde, il se fait déstabiliser par des vitres et est incapable de percevoir sa cible, comme Orson Welles dans La Dame de Shanghai. Il s'en veut, et puis c'est dur de se remettre en question...
Mais Bond est comme un vieux singe, personne lui apprend à faire des grimaces, et quand certains s'y essayent, il le prend très très mal. Non, M se trompe quand elle se persuade que Bond n'arrivera pas à achever son adversaire au combat à mains nues. Le méchant se trompe aussi quand il évoque la reconversion pour laquelle devraient opter les vieux agents, à savoir truquer des élections en Ouganda ou déstabiliser des multinationales par internet. Bond est certes inadapté, mais il peut finalement encore servir son pays. En courant plus vite et en jouant à MacGyver.
A partir de cette prise de conscience (et aidé par la technologie, un peu d'opportunisme a jamais fait de mal à personne), James reprend l'ascendant. C'est lui qui dicte ses règles, et qui choisit de faire confiance au passé et aux bonnes vieilles méthodes. Il se retranche dans son vieux manoir empli de souvenirs d'enfance, comme Welles dans Citizen Kane, à nouveau. "Skyfall", le nom du patelin, est la clé du film, comme pouvait l'être "Rosebud". C'est en acceptant de regarder le passé que Bond accepte le changement et ne se sent plus totalement exclu de cette société globalisée qui ne veut pas l'attendre.
Finalement, c'est un bon Bond ou pas ? Les attributs classiques de tout épisode de la série sont bien là. La James Bond girl est bien jolie, mais potiche et torturée. Sa confiance en elle s'émiette en même temps que son maquillage. Y a tout plein de drapeaux anglais, on n'est pas au service de sa majesté pour rien. Les courses poursuites sont toujours aussi invraisemblables, mais c'est chouette de voir un agent secret piloter une pelleteuse pour se faire un pont afin de rejoindre le wagon de train suivant. Le whisky semble goûtu. La musique tombe toujours à point.
Le monde pourra encore changer, tant qu'existera le Royaume-Uni, on te trouvera toujours une petite place Bond, sois tranquille.
