Sleepy Hollow m’avait laissé un souvenir mitigé quand je l’avais vu à sa sortie en salles. Je l’avais revu quelques années plus tard sur petit écran, et pas mieux. Un divertissement sympathique, une œuvre mineure dans l’oeuvre de Tim Burton. Peut-être aussi que, fan du réalisateur à cette époque, j’attendais trop de ce film.
Bref, on s’en fout. Tout ça pour dire que je l’ai revu hier soir et que c’est une vraie réussite. Pas non plus un chef d’oeuvre, mais vraiment un bon film.
Les décors, les paysages (de véritables tableaux dans lesquels on aimerait s'immerger…), l’ambiance, les costumes, et bien sûr la musique de Danny Elfman, fidèle acolyte de Burton, tout est parfait. Sans compter le jeu des acteurs, entre une Christina Ricci ingénue et adorable mais déterminée, un Christopher Lee impressionnant et glacial, et beaucoup d’autres, mais surtout un Johnny Depp en forme, qui mène la danse, entre deux évanouissements. Car oui, on s’évanouit beaucoup dans ce long métrage, et je crois qu’il s’agit surtout d’un clin d’oeil et hommage aux vieux films d’horreur, tels ceux de la Hammer.
Je note d'ailleurs que le film n'a pas pris une ride, il n'a que 20 ans, mais il y a des films même moins anciens qui ont vieilli...
Oui d'accord, c'est bien beau tout ça, mais... et l'histoire ???
Sleepy Hollow se situe entre le conte gothique et le récit policier. C’est un film de genre, en apparence de facture très classique, et qui s’inscrit dans la lignée de toutes sortes d’oeuvres. Je pense par exemple au Chien des Baskerville. Un film de genre, peut-être, mais à la croisée de deux genres ! Et qui en plus se situe dans le contexte de la naissance des Etats-Unis, jeune nation à peine libérée du joug britannique, une période presque fantasmatique, peu connue, mystérieuse, où tout semble possible…
Au genre du film gothique d’épouvante, Sleepy Hollow emprunte pas mal de clichés, ici brillamment utilisés : les paysages brumeux, les vieilles bâtisses de pierre, les redingotes noires, les apparitions à glacer le sang…
Mais il s’agit aussi d’une enquête policière. On n'est pas loin de l'univers de Sherlock Holmes et autres Agatha Christie. Et ce qui est intéressant c’est que justement on n’est pas seulement au croisement entre deux genres cinématographiques, classiques, mais aussi entre deux époques (l’ancien monde et la modernité), et même deux conceptions du monde : une conception rationnelle, scientifique, carrée, plus masculine, incarnée d’ailleurs par le personnage principal joué par Johnny Depp (un inspecteur de police) et une conception plus intuitive, plus sensible, qu’on pourrait qualifier d’irrationnelle voire superstitieuse, plus féminine aussi, incarnée par plusieurs femmes, et plus ancrée dans la ruralité, la nature.
En effet, notre fringuant inspecteur vient depuis New York enquêter dans un village reculé sur une série de meurtres inexplicables et montrer à ces ploucs qu’il n’y a rien de surnaturel là-dedans. Car ces assassinats, ils les attribuent à un cavalier sans tête, mort 20 ans auparavant. Il est armé de toutes sortes de certitudes et de préjugés, et d’une méthode scientifique infaillible matérialisée par des instruments et autres produits chimiques. Il aime mesurer, calculer. Son air constamment sceptique, dubitatif et circonspect, avec des expression subtiles qui n’altèrent que peu son visage impassible, qui semble dénué d’émotions et de sentiments, est presque hilarant.
L’inspecteur croit aveuglément en la toute puissance de la modernité, de la science, de la technologie, du progrès, autant que les bouseux croient aveuglément en la Bible et en toutes sortes de légendes locales.
Tim Burton aurait d’ailleurs pu bêtement nous montrer le déroulement de l’enquête aboutissant à une explication purement rationnelle, à la manière de Scoubidou...
Mais ce qui est fort, c’est que l’on se met de plus en plus à douter, en même temps que notre Sherlock Holmes en herbe dont les certitudes s’ébranlent peu à peu à l’épreuve des faits. Et s’il y avait autre chose que le monde matériel et que les explications mathématiques ?…
En s'ouvrant à d'autres possibilités, à autre chose que la raison, le jeune inspecteur ouvrira d'ailleurs aussi son coeur aux sentiments...
Le film nous montre que le surnaturel existe, que tout ne peut pas être expliqué rationnellement, qu’on ne maîtrise pas tout, il y a des choses que l’on ignore.
Mais ce qui est encore plus fort, c’est que malgré cela, Tim Burton ne se contente pas d’un simple pied de nez à notre civilisation rationaliste et matérialiste. Les explications rationnelles, il les donne aussi. Et c’est justement là où le film policier prend à nouveau le pas sur le film d’épouvante. Oui, l’assassin est bien un mort vivant venu de l’Enfer, mais en même temps, oui il y a des mobiles purement humains et parfaitement logiques, liés comme d’habitude à l’avidité et la soif de vengeance et de pouvoir. Les deux cohabitent. Finalement, le jeune arrogant venu de New York a autant raison que les villageois, mais pas plus. Chacun possède une part de vérité, incomplète.
Ce qui m’a beaucoup intéressé aussi, ce sont les éléments d'explications qui sont distillées sur la psychologie de l’inspecteur, sous forme de flashbacks un peu oniriques. En fait sa mère était une sorcière, qui était douce et gaie et aimait la nature et la magie. Mais son père était un juge austère et imprégné de fanatisme religieux. Il a fait arrêter et exécuter sa propre femme. Le personnage joué par Johnny Depp prétend à la fois ne pas tomber dans l’erreur de sa mère mais surtout, ne pas ressembler à son père, il s’efforce donc d’être juste et impartial, et totalement rationnel, scientifique et athée. Jusqu’à en devenir un peu mécanique et humain, un peu froid, distant et desséché. Voulant échapper à ce modèle paternel, il finit en fait par lui ressembler…
Dans ce village, il rencontre bien sûr une jeune femme qui elle aussi est une gentille sorcière. Sa mère lui montrait pour l’amuser une illusion d’optique avec un cardinal, un petit oiseau rouge. Or, quand il rencontre cette jeune fille, c’est son oiseau préféré, et elle le dit au moment où il s’apprête à lui montrer ce jouet. Pas de bon film sans des synchronicités de ce style…
De même, il fait appel à une sorcière, qui est cette fois beaucoup plus inquiétante, beaucoup moins fraîche et innocente, mais au contraire la caricature de la vieille sorcière vivant isolée dans sa cabane au fond des bois… L’auteur des crimes, ou plutôt son commanditaire, n’est d’ailleurs autre qu’une sorcière elle aussi, sœur de cette dernière… On n'échappe pas à son passé, à son enfance.
J’aurais toutefois aimé que le film soit plus court, ce qui lui aurait donné plus de force. J’ai moins apprécié la seconde moitié que la première, ça traîne un peu en longueur, l’intrigue devient moins intéressante, le film dérive presque vers le film d’action… Et le dénouement lui-même, à ce stade, ne produit plus tellement d’effet…
J’ai également regretté quelques effets faciles, mais qui sont sans doute volontaires, des hommages aux vieux films d’épouvante et leur sympathique amateurisme : le sang qui gicle dans l’oeil de Johnny Depp quand il pratique l’autopsie, et qui ne ressemble pas à du sang ; le déferlement de sang (encore !) sous pression quand la vierge de fer dans laquelle sa mère était emprisonnée et est morte s’ouvre brutalement sous ses yeux, enfants ; le masque horrifique constitué par la vieille sorcière quand elle est possédée, avec des serpents qui sortent de ses yeux ; le moulin en feu qui explose, parce que bon, un film américain sans une seule explosion, ce n'est pas un vrai film ; et j’en oublie…
Malgré ces quelques petites réserves, Sleepy Hollow reste un très bon film, divertissement de très bonne facture autant que film personnel (sinon d’auteur) bourré de références, qui d’ailleurs pour beaucoup m’échappent, mais cela n'empêche nullement d'apprécier le film...

Spellbound
8
Écrit par

Créée

le 18 avr. 2019

Critique lue 121 fois

Spellbound

Écrit par

Critique lue 121 fois

D'autres avis sur Sleepy Hollow - La Légende du cavalier sans tête

Du même critique

Tuca & Bertie
Spellbound
5

Une sitcom dans l'air du temps, passable mais sans plus

Tuca & Bertie est une nouvelle série animée qui ressemble beaucoup à Bojack Horseman (j'apprends d'ailleurs qu'il s'agit de la même équipe), émission que personnellement j'aime, mais...

le 8 mai 2019

4 j'aime

Trailer Park Boys: The Animated Series
Spellbound
4

Fuck the fucking fuck

Je n’avais jamais vu Trailer Park Boys, la série du même nom, j’ai donc regardé la série animée qui en est dérivée sans préjugés positifs ou négatifs. Par contre je suis très friand de dessins animés...

le 5 mai 2019

1 j'aime

6

Avril et le monde truqué
Spellbound
2

Un dessin animé poussif et maladroit

Il n’y a pas grand-chose à sauver dans ce dessin animé prétentieux mais complètement raté et vide. Dans le meilleur des cas c’est un éléphant qui accouche d’une souris. Certes, les dessins, inspirés...

le 23 avr. 2019

1 j'aime