Le lauréat de l'Oscar du meilleur film 2008 est une sombre bouse.

Devant l'engouement généralisé mon constat a de quoi surprendre mais pourtant, n'importe quel cinéphile ayant lu le livre dont est tiré le film devrait normalement arriver aux mêmes conclusions.
En effet, si un scénario provenant d'un roman se doit toujours d'être une adaptation et donc de modifier la substance littéraire pour en extraire une substance cinégénique, il est nécessaire que cette substance reste la même. Sinon il faut se sortir les doigts du cul et écrire son propre scénario en évitant de pomper les idées des autres parce que ça, ça a un autre nom et c'est du plagiat.
Les questions qu'on peut se poser en voyant Slumdog Millionaire, film adapté d'un roman et visant un certain niveau d'exigence, sont donc les suivantes : est ce que le film a su capter la substantifique moelle de l'œuvre ? Et que ce soit le cas ou non, est ce que le produit final est un film cohérent, pensé et réalisé pour être une œuvre justement et pas un produit ?

Pour ce qui est de cette première partie où je vais comparer la matière première et le résultat sur pellicule, je ferais évidemment fi de toutes balises spoiler malgré des références nombreuses au livre et au film : à vos risques et périls donc !

Le premier changement radical qu'il y a entre les deux versions tiens à la structure. "Les Fabuleuses aventures d'un Indien malchanceux qui devient milliardaire" prend l'aspect d'un conte à la 1001 nuits, chacune des questions du jeu correspondant à une histoire de la vie du héros.
Ces histoires sont racontées dans l'ordre des questions et misent bout à bout racontent à peu près toute la vie du personnage principal même si certains ce ces chapitres sont centrés sur quelqu'un d'autre que lui.
Le procédé fonctionne à plusieurs niveaux, introduisant des interrogations qui seront résolues plus tard, montrant qu'une vie est faites de rencontres plus ou moins importantes, etc.
Il suffit d'entendre le scénariste de Slumdog Millionaire en parler pour voir de base le problème qu'il va surgir : "Le livre se présente sous la forme de douze nouvelles qui ne suivent pas le personnage de sa naissance à l'âge adulte. C'est plutôt décousu et certaines apparaissent comme de petits contes, discrets, sans aucun lien avec les personnages principaux. Il n'y a pas de fil conducteur continu dans la narration."

Et oui. Le scénariste n'a rien compris à l'oeuvre qu'il veut adapter. La narration a un fil conducteur clair, net et précis : notre héros qui va de par sa vie incarner l'Inde à lui tout seul dans ses meilleurs et ses pires côtés.
Rien d'étonnant alors que le nom du personnage change entre les 2 supports : Ram Mohammed Thomas perdant son côté œcuménique et synthèse des courants religieux de l'Inde pour devenir le musulman Jamal.
Et donc là où Ram a une vie riche en péripéties et en rencontres diverse et variées qui vont montrer la richesse du pays, Jamal va avoir droit à -tenez vous bien- une intrigue !
Une belle intrigue, bien directe, bien classique, sans surtout le moindre soupçon d'originalité, et racontée de manière tout ce qu'il y a de plus linéaire en oubliant tout à fait au passage le principe de foisonnement qui sous tendait de manière logique toute l'œuvre originelle.



Oubliée aussi la structure des chapitres qui de manière intelligente plaçait les questions du jeu à la fin des histoires : on découvrait ainsi après avoir vécu le conte quel en était la "morale" et résolvait à chaque fois le jeu de piste. Ce n'était pas "où est Charlie ?" mais il y avait tout de même ce plaisir de chercher ce qui dans l'histoire aller déboucher sur la question du jeu télé.
Ici, on a encore affaire à un nivellement par le bas : déstructurer le récit aurait été trop compliqué mais à priori c'est aussi le cas de raconter quelque chose sans un but clairement affiché. Dans le film on aura donc la question, puis un segment explication de texte pour qu'on comprenne comment il a répondu à la question. Surtout ne pas effrayer le spectateur de TF1 ou de la Fox.
Le procédé trouve clairement ses limites dans la séquence du train puis du Taj Mahal : ces 2 morceaux n'ont d'autres intérêts dans le film que de flatter la rétine du spectateur pour proposer une vision de carte postale. En coupant ces séquences on ne perdait rien dans la narration du film, alors qu'une fois de plus le livre montre sa supériorité en plaçant le Taj Mahal comme un des passages obligatoire de la narration car étant l'une des questions les plus élevées.

On pourra me rétorquer que l'Inde présentée ici est très loin d'une Inde de carte postale vu qu'il y a de la violence, un viol timidement suggéré (et acceptée par l'héroïne), du caca, et un éborgnage.
Mettons une fois de plus l'oeuvre écrite par un indien face au scénario du scénariste anglais : où sont passées les stars de Bollywoods pédophiles ou fan de sexe avec brulures de cigarettes ? Surement parties avec les prêtres homosexuels, l'héroïne prostituée, les scientifiques incestueux et la description sans misérabilisme d'un pays écartelé entre le Tiers Monde et sa condition de pays émergeant.
Les quelques rares morceaux de sang, de sueur et de larmes semblent avoir été laissées plus comme caution de "oh la description sans concession !" qu'autre chose...



Tout le travail du scénariste a consisté à prendre une œuvre qui sans être un chef d'œuvre inoubliable représentait une synthèse intelligente entre divertissement et peinture d'un pays hyper complexe et à l'en expurger de toute originalité, de tout sel, de tout ce qui en faisait quelque chose de singulier.
J'en parlais au dessus mais le traitement du héros est symptomatique de l'ensemble du travail de sape : outre la disparition de son caractère pluriethnique, il passe surtout de personnage naïf et gentil mais obligé de vivre dans un monde dur avec ce que cela implique (c'est lui qui tue à l'aide d'un Colt dans le livre) à un ersatz de Candide qui pousse la naïveté jusqu'à la bêtise.
Partant de là le film est difficilement acceptable pour toute personne ayant aimé le livre mais il se peut tout de même que le film soit pensé de manière cohérente pour finir une vraie œuvre de cinéma.

Mais non. Plusieurs exemples pourraient être mis en avant (je pourrais rappeler le Taj Mahal par exemple) mais je m'en tiendrais à un plan parmis d'autres : celui où l'on voit Salim, le frère de Jamal, devenu truand, prier avant d'aller rejoindre son boss.
Scénaristiquement, thématiquement, narrativement, quel est l'intérêt de cette scène ?
Car ne soyons pas dupe : dans un film parlant de destinée, de bonne étoile, de "c'était écrit", lorsqu'on écrit, que l'on tourne, et que l'on garde au montage un plan aussi signifiant que l'un des 3 personnages principaux qui prie Allah sur son tapis c'est que soit c'est par choix, soit qu'au bout du compte on s'en bat les babouches de la thématique du film.
Et le problème c'est que de laisser le plan du violeur, du tueur, du manipulateur, en train de prier Allah, sans jamais le contrebalancer par un plan du héros montrant son appartenance religieuse laisse dans la bouche un arrière goût assez dégueulasse.
(surtout qu'en plus le fait de faire de Salim un musulman est un choix du scénariste vu que ce n'était pas le cas dans le livre)

Rajoutons à cela une réalisation assez gadget (mon dieu ces effets de caméra penchées utilisés toutes les 5 minutes sans aucun signifiant dans la réalisation) et nous avons un film que l'on voit clairement pensé avec les pieds. Voire avec les ongles des pieds en fait.

"C'est votre dernier mot ?"/10
2/10
Adinaieros
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le 15 oct. 2010

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Adinaieros

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