L'auto-dérision, la rédemption de l'homme moderne

Glacial. C'est le premier mot qui vient à l'esprit quand on pense à Snow Therapy, avec ses plans parfaitement construits, à la limite de la géométrie, avec son scénario où chaque scène a un sens déterminé et s'emboîte parfaitement dans la trame globale, avec sa neige désespérément blanche et opaque, et bien entendu avec son réalisateur suédois. Le cliché affleure à nos lèvres de critiques émérites : Snow Therapy est froid, sans âme, à la manière d'un salon exposé chez Ikea (j'ai prévenu pour le cliché). Mais voilà. On a détesté les sanglots d'auto-appitoiement de Tomas, on a adoré la scène de la dispute sur l'oreiller, on a ri aux larmes souvent, on a ressenti l'angoisse du bruit des brosses à dents éléctriques. Ainsi, quel que critique émérite que l'on soit, on reconnait alors que Snow Therapy n'est ni froid, ni sans âme.


La question est donc : qu'est Snow Therapy s'il n'est pas le cliché Ikea qu'on s'en est fait à première vue ?


Eh bien, pour commencer Snow Therapy est profondément moqueur. Et tout à fait hilarant dans cette moquerie. On se moque sans cesse, en particulier de ce pauvre Tomas (Causette blond et lâche, looser sous des airs de winner, un peu trop vieux pour être "le plus bel homme du bar" (ahahaha, non mais cette scène)). On se moque de l'égo blessé de Mats, viking à la barbe épaisse et rousse qui ne peut s'endormir avant que sa jeune copine ne lui dise ô combien il est fort. Et puis on se moque des hommes en général (grandiose scène de boîte de nuit où des mâles torse nus crient avec leur voix graves et se jettent de la bière dessus, virilité exagérément virile). Mais on se moque aussi de Ebba, qui cherche désespérément à montrer aux autres combien l'homme qu'elle a épousé est lâche, installant malaise sur malaise (gêne jouissive quand elle fait se lever ses amis pour leur montrer la vidéo de Tomas s'enfuyant). On se moque enfin du couple, à l'intimité réduite à un couloir d'hôtel de luxe, forcés de se disputer devant le gardien et finissant par s'enfermer dehors.
Bref on se moque de tout le monde. En fait, les seuls dont on ne se moque pas sont les enfants et les classes populaires (image du gardien qui les regarde dans le couloir, juge impartial, presque à l'aura divine, toujours en hauteur, on ne sait jamais où).
Östlund nous dresse donc, par le biais de la moquerie, un tableau bien délimité d'une bourgeoisie égoïste dont il exclut les enfants (trop innocents) et les pauvres (ne généralisant ainsi pas à toute la nature humaine son joyeux cynisme). Dans sa moquerie ciblée, il garde donc un peu d'espoir. Et puis surtout, c'est vraiment très drôle.


Deuxième chose, Snow Therapy est graphique (n'oublions pas qu'Östlund a une formation de graphiste). En ce sens, chaque plan à l'aspect artificiel devient métaphore de l'image de petits bourgeois parfaits que tentent de donner Ebba et Tomas. Artifice pour représenter l'artificiel donc. Mais finalement, ce graphisme est brisé. Dans le plan final (fin tant critiquée) où la foule marche sans organisation précise, Tomas dit, quand son fils lui demande s'il fume : "oui". Et ainsi, il fait tomber les masques, il casse l'image sans faille qu'il s'était construite. Quel intérêt dès lors de montrer un plan construit et artificiel si Tomas ne l'est plus ?


Cette réplique nous permet d'introduire la troisième dimension de Snow Therapy : la nuance. Snow Therapy ne nous présente pas des personnages monolithiques et cette ultime réplique en est bien la preuve : Tomas n'est pas que le lâche imbu de sa personne, il est aussi (un peu) le père honnête qui hésite avant de répondre à son fils que Super Papa fume. Il est homme, donc nécessairement complexe et pas réductible à un type comme on l'aurait cru avant cette scène. Là aussi un peu d'espoir.


Ainsi, parfois touchant, parfois exaspérant, souvent angoissant (je ne me brosserai JAMAIS les dents avec une brosse à dents éléctrique), Snow Therapy nous dit qu'en dépit de la lâcheté et de l'égoïsme de l'homme moderne (et riche), il faut garder espoir en la nature humaine et surtout, surtout, rire de nous-même : l'auto-dérision comme rédemption de l'homme moderne, voilà la réponse de Östlund aux pessimistes avertis.

inesclivio
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le 18 oct. 2017

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