La prise de conscience d’un agent de la NSA sortant de l’ombre pour révéler au monde, en même temps que son identité, la peu reluisante facette des systèmes de cyber-surveillance mise en place par les Etats-Unis à travers le monde, ainsi que les dangers qu’ils font peser sur la vie privée comme sur les destinées collectives.


L’histoire est désormais bien connue, tant Edward Snowden, au même titre que Julian Assange, est devenu la figure de proue des fameux lanceurs d’alerte, citoyens parmi les citoyens, prêts à tous les sacrifices pour faire se dresser contre les raisons d’état une éthique pirate du numérique. Elle l’est d’autant plus pour les habitués des salles obscures qu’elle fût le sujet du documentaire oscarisé de Laura Poitras, Citizenfour, huit-clos angoissé laissant la parole à un Snowden en exil à Hong-Kong et au bout du rouleau. Ce dispositif, Stone le reproduit avec beaucoup de minutie, peu d’imagination et visiblement sans trop de vergogne pour construire le socle narratif de son Snowden qui, comme on pouvait le craindre, arrive avec un temps de retard et sans prise aucune sur le monde tentaculaire qu’il tente de décrire. Ecrasé par les termes techniques et par une manière de filmer les enjeux numériques digne du siècle dernier, Snowden se contente trop longtemps d’être un exposé didactique, bien intentionné mais déroulé dans les règles de l’art du biopic impersonnel : imitation jusqu’au-boutiste de Snowden par Gordon-Levitt, gimmicks scénaristiques prévisibles (mention spéciale au Rubik’s cube) et une tempérance générale parfaitement symbolisée par un Nicolas Cage éteint.


Pourtant, l'espace d'un plan final, en une bascule conclusive reliant deux spectres du réel, Snowden se met à nu et exhibe tout ce qui aurait pu faire de lui un film moderne et passionnant : par un tour de force cinématographique et le truchement d'un écran, Joseph Gordon-Levitt mute en Edward Snowden, l'incarnation devient l'incarné, le personnage retrouve la figure mythologique. Car Snowden est mu par la même obsession qui agitait Stone au moment de réaliser Platoon, Né un 4 juillet ou encore JFK, à savoir faire coïncider à l'écran la grande histoire et la petite histoire, étudier la nation américaine en même temps que les citoyens qui la composent, montrer les destinées particulières au sein de la fameuse destinée manifeste. En ce sens, Edward Snowden était déjà un personnage stonien avant son passage à l'écran, héritier malgré lui de Ron Kovic (Né un 4 juillet) et de Jim Garrison (JFK) : même espoir patriotique et même désillusion que le premier, même recherche désespérée de la vérité que le second. Cette filiation sentimentale donne au biopic ses élans les plus sensibles et les plus justes, cherchant l'être de chair sous la figure numérique, à travers notamment une série de flash-backs centrés sur sa relation avec Lindsay Mills – incarnée par la lumineuse Shailene Woodley – siège des émotions et berceau des dilemmes. Revoir les enjeux de la surveillance des réseaux et de la sécurité à l’échelle humaine – telle était l’ambition d’Oliver Stone ; ambition qui livre les rares audaces formelles du film, prenant par exemple les crises d’épilepsie de Snowden au premier degré, déformations de la vision liées au vertige de celui qui ne saurait voir. C’est peu, trop peu au regard du potentiel subversif du sujet et l’on aurait aimé voir ce film sous le signe vertovien : filmant l’homme et sa machine électronique enfin rapprochés, à même d’inspirer avec Edward Snowden la révolution numérique et capable d’éblouir de ses projecteurs l’œil numérique qui continuellement nous scrute.

Corentin_D
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le 1 nov. 2016

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C DD

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