Vous voyez ce que ça fait de se prendre une gifle quand on a la peau gelée ? Bah pareil (sinon vous pouvez faire l'expérience à la maison en mettant votre tête dans le congélateur pendants quelques dizaines de minutes mais c'est pas super pratique, puis vous aurez l'air con ... en gros, ça fait mal).
Au risque de me répéter je me suis donc pris une claque. 2013 est un excellent cru question cinéma, mais si on a été gâté en terme de gros blockbusters visuellement impressionnants, Le Transperceneige est certainement le plus intelligent de tous ceux sortis cette année. Il reprend la thématique abordée dans Elysium mais de façon plus aboutie et beaucoup moins manichéenne. Ce ne sont plus simplement les gentils pauvres contre les méchants riches, c'est l'humanité, ou du moins ce qu'il en reste, qui tente de survivre dans un espace confiné, avec toutes les contraintes que ça entraine, et toutes les concessions morales que ça implique. Car les idéaux d'égalité c'est bien beau, mais quand il n'y a pas assez pour tout le monde, bah y'a pas grand chose à y faire, on pourra redistribuer autant qu'on veux, il n'y en aura toujours pas assez, ce qui mène inéluctablement à la violence; à défaut de multiplier les pains, ça finit par distribuer des torgnoles. Contrairement à Elysium qui abordait cette thématique sous l'angle du blockbuster simple et fun, Le Transperceneige nous met face aux véritables problèmes sociaux que ce genre de situation implique et nous balance à la tronche la définition même du dilemme : des situations où il n'y a pas de "bon" ou de "mauvais" choix, juste "une décision ignoble" ou "un choix abjecte".
Il est d'ailleurs intéressant de noter l'inversion horrifique qui s'opère tout au long du film : si les décors partent du sinistre vers le grandiose, la dimension psychologique commence sur de beau idéaux de moralité pour finir dans l'abomination morale la plus totale. Toutefois cela ne sombre jamais dans la caricature et le scénario à le bon goût de ne pas être réducteur dans sa façon de dépeindre les deux camps.
L'aspect visuel est parfaitement maîtrisé, de la crasse et la misère des wagons de queue au luxe débordant des voitures de tête, sans parler des époustouflants décors enneigés qui encadrent le récit. Les costumes des personnages sont totalement en accord avec cela, notamment quelques trouvailles originales dont les imposantes tenues des gardes masqués. Leurs cagoules sans trous pour les yeux leurs donnent un aspect profondément dérangeants puisqu'il est à la fois impossible d'y lire une émotion mais aussi de savoir où ils regardent, ce qui est très perturbant quand vous savez qu'ils sont bien décidés à vous éventrer; ce que les designers de la saga Alien avaient très bien compris il y a près de 30 ans. On retiendra notamment une ouverture des portes qui installe une tension phénoménale, c'est le calme avant la tempête, la brise avant le blizzard, le souffle coupé avant le fracassage de crâne à coup de hache. Gaffe à pas glisser sur les boyaux de votre voisin d'ailleurs. Les scènes d'action sont remarquablement bien filmées pour un cadre aussi confiné, on sent toute la violence de la mêlée, l'impossibilité de faire marche arrière et la sensation d'être prit entre deux feux pour ceux en première ligne. Même s'il joue souvent sur le hors champ pour les scènes les plus dures, on a le plaisir de constater que le film se poursuit sans la moindre concession du début à la fin.
Ce jusqu’au-boutisme se ressent d'ailleurs également dans le scénario à un point qui m'a véritablement surpris pour un blockbuster, et c'est là qu'on se réjouit que cette BD française ait été adaptée par un génie coréen et non formatée par Hollywood. Je suis resté plusieurs fois sur le cul devant l'audace du scénario qui n'hésite pas à envoyer chier toutes nos convictions. Que ce soit sur le plan psychologique avec des personnages complètements désaxés; ou dans les évènements avec des situations profondément dérangeantes, le film ne cesse de surprendre jusqu'à la fin.
Snowpiercer est donc une boule de neige (fourrée de caillasse) en pleine poire, le genre de film qui nous en met plein la gueule, quitte à arracher des lambeaux de peau au passage, mais qui n'oublie pas de nous en mettre plein la tête, avec une réflexion approfondie qui ne laissera pas notre cerveau indemne non plus.
VincentMotte
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le 10 nov. 2013

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Vincent Motte

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