Dans un monde envahi par les glaces et un froid polaire, un long train parcourt sans fin le tour de la planète. Des wagons de queue à celui de tête abritant la Machine, c’est tout un échantillonnage de l’humanité qui continue à survivre et à se perpétuer. Les gueux et les resquilleurs du fond, surveillés par des hommes en armes, sont réduits à l’état animal et n’aspirent qu’à la révolte, c’est-à-dire arpenter la succession des voitures et ravir le pouvoir à Mr Wilford, le créateur démoniaque du train des survivants.

C’est une nouvelle fois une bande dessinée (après celle qui inspira La Vie d’Adèle) qui est à l’origine du projet du sud-coréen Bong Joon-ho, auteur déjà remarqué de Memories of Murder, The Host et Mother. Il livre aujourd’hui un film de science-fiction excitant et jouissif, qui fait naitre chez le spectateur une sensation d’impatience croissante. Huis-clos absolu, puisqu’on ne quitte jamais le train, apercevant tout juste de temps à autre les paysages fantomatiques et glaciaires, le film emprunte ainsi aux codes du jeu vidéo en se synthétisant en une série de passages de portes jusqu’à l’accès au wagon de tête. Le réalisateur met donc en scène un aller sans retour possible, installant successivement des scènes nouvelles et éphémères. En effet, aussitôt une porte franchie, le wagon précédent semble basculer dans un passé à jamais révolu et le nouveau incarne le présent, tout aussi illusoire et provisoire. L’excitation s’origine par conséquent dans la découverte sans cesse renouvelée de l’inconnu. L’avancée à travers les wagons, depuis la plus infâmante indigence au luxe le plus saugrenu, est un parcours semé d’embûches : les combats violents font rage, filmés dans un découpage particulièrement énergique, avec cette patte esthétique à laquelle le cinéaste nous a habitués. Parmi les méchants, signalons la présence de la comédienne britannique Tilda Swinton, particulièrement savoureuse dans sa composition d’une gardienne du temple hystérique qui aurait hérité de la physionomie de Marguerite Duras.

Dans une ère apocalyptique qui amplifie les dysfonctionnements des sociétés contemporaines, le film revisite en quelque sorte la naissance et le développement de la civilisation. À l’âge de glace originel succède celui du feu, de la transcription (illustrée par les dessins exécutés par un des damnés, sortes de peintures rupestres) et de l’appropriation de la technologie. Le sous-texte philosophique apparaitra plus convenu (émancipation, retour à la liberté, …) au regard des prouesses brillantes de mise en scène déployées pendant trois bons quarts de l’ensemble. Le long convoi lancé à vive allure dans une rotation éternelle, cylindre de fer perçant la formation des névés, est aussi comme un clin d’œil aux vaisseaux spatiaux égarés – on pense beaucoup à Kubrick et, plus récemment, à Gravity de Alfonso Cuarón.

Snowpiercer, Le Transperceneige nous plonge dans un état de tension et de jubilation qui ne faiblit jamais. Au contraire, au fur et à mesure de l’ouverture des portes et de l’accès à un niveau ‘supérieur’, notre frénésie redouble, stimulée par la curiosité d’apprendre quels décors et quelles folies renferment les wagons suivants. Il faut un génie authentique d’inventivité et de drôlerie, car le film est souvent drôle et distancié, pour faire d’un huis-clos une œuvre à grand spectacle, blockbuster de l’intime qui touche à l’universel. Un pur divertissement de prime abord (et qu’on peut voir uniquement comme cela) qui est aussi une parabole politique et philosophique imparable. Qui donne son sens et son intelligence aux actions. On ne s’en lasse pas, pis on en redemande et on brûle de repartir pour un nouveau voyage à bord de ce train fou.
PatrickBraganti
9
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le 31 oct. 2013

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