Donner une note et en faire une critique est un acte très présomptueux vis à vis de ce film. Un film très profond, porté par une véritable réflexion, qui se veut très réfléchi? Il fut étonnant pour moi de voir une telle modernité, une telle qualité. La somptuosité de l'ensemble du film est époustouflante, cependant peu surprenante au vu de L'Enfance d'Ivan et d'Andreï Roublev. Un nouveau chef d'oeuvre de la part de Tarkovski. Et cette fois-ci, encore très personnel fait office de pamphlet, une vraie dimension, à la fois critique, personnelle et ésotérique.

Tarkovski est un génie. Mais pas seulement dans l'art de créer des films, dans l'art de provoquer des sentiments, des ressentis, de bousculer provoquer l'être humain. Il est là comme ce soleil brulant qui vous réchauffe la peau et l'âme, comme cette ombre glacée qui vous engourdi et vous fait frissonner jusque en des contrées de votre âme qui vous semblez inconnues. Je ne prétendrai pas que j'ai compris son cinéma, loin de là, j'ai ressenti. Essayer de le comprendre c'est se borner à des images, à des définitions. Ce film, les films de Tarkovski m'épluchent et je vais bientôt servir à la justification de son génie, mais il y a des hommes comme ça que le temps ne peut stopper. Je ne saurais être que dithyrambique tellement et le film et son expression et tout en fait a su me toucher. Ma sensibilité a été marqué. Je ne m'attendais à rien de précis et pourtant l'impact est grand. À la mesure, dans d'autres tonalités, d'Andreï Roublev. C'est saisissant, c'est du génie. Je n'ai pas assez de mot dans mon propos zélé.

Solaris raconte l'histoire d'un homme qui doit se rendre sur la station d'observation de la planète écumante Solaris. Il doit rendre compte de la mission qui dure depuis des années et dont tous les scientifiques seraient devenus fous. Il s'y rend et son être ne sera plus jamais le même. Cette planète qui est un vaste océan d'écume mouvante, incessamment dans un rythme diaboliquement psychédélique, est à l'origine de la création d'une nouvelle science, la solaristique. Lorsque Kelvin arrive sur la station les choses ne lui semblent pas nette, comme les rapports des quelques scientifiques qui en reviennent, il constate que quelque chose habite le lieu de sa présence, son âme et sa domination. Tarkovski fait en réalité, au delà de la dimension ésotérique et spirituelle profonde et caractéristique de chacune de ses oeuvres, un pamphlet anti-science aseptisée et irréfléchie.

Solaris est en réalité un cerveau titanesque, qui par le souvenir des hommes proches de lui, génère des formes vivantes immortelles tirées des souvenirs, des envies et sentiments des hommes qui lui portent attention. En somme regarder Solaris permet de voir ses souvenirs, ses pensées générées dans une forme d'être vivant indestructible. Alors que les deux scientifiques survivants font des expériences sur ce qu'ils génèrent, Kelvin lui voit sa femme décédée. Sa femme qui est dans une sorte de relation passionnelle avec lui, elle ne comprend pas ce que sa présence génère chez Kelvin, cette entité est nourrie des sentiments de Kelvin, de ce qu'il désire, elle cherche donc à justifier sa fausse existence, que lui après une période de dédain, reconnait et à laquelle il donne un sens proche de celui qu'il avait et voudrait. Un fantasme de chair et d'os auquel il peut donner la profondeur et les sensations qu'il désire, il peut la piloter, la fondre. Il est dans un rêve dont lui même ne prend pas la mesure sans pour autant se laisser happer.

Solaris est en réalité un cerveau, une intelligence, une pensée, un être vivant de lui même, la partie cérébrale de notre cerveau que nous ne connaissons pas, celle sur lequel le mystère reste voilé, qui génère nos rêves, pulsions, envies, sentiments. L'accumulation de lourdeur lors des scènes terrestres démontre bien sa nature faite de chair uniquement, de mécanismes, de langueur, de vide sensitif. Par exemple la scène dans la voiture qui semble interminable est une métaphore de la monotonie et de la froideur terrestre, de l'Humanité. À côté de cet océan respirant la sensibilité, chaleur abondante. Un océan chaleureux, qui peut se révéler être un danger cependant. Mais pour qui?

C'est là que Solaris fait figure de pamphlet anti-science à mes yeux. En effet, le long interrogatoire au début, dans lequel tout les questionneurs ne sont pas capables de comprendre l'astronaute. Mais aussi l'obstination de Kelvin à ne pas écouter son père, ni la nature... Il veut y aller pour enquêter remettre les choses en place, mais son père et l'ami de son père tentent de l'en dissuader, lui faire comprendre que ce n'est pas si simple. Cette science, la stolaristique, est une création de l'homme, pas une évidence, être une éminence grise parmi les hommes ne fait pas de Kelvin un être à l'abris de son influence. La science croit tout maitriser, avoir les réponses à tout, mais quand son cerveau ne sert plus qu'à aseptiser la réalité pour la vulgariser et lui enlever son sens, si les solutions ne sont plus apparentes elle perd ses repères. Kelvin sera changé. La perte de repère de son ami le mena au suicide et les autres scientifiques encore vivants demeurent, mais fous.

Solaris est emprunt d'un élan métaphorique permanent. Cette planète océan, une gigantesque spirale, nébuleuse tentaculaire écumante, sublime. La scène sur le route interminable évoque un système nerveux. La forme de Solaris semble plus encéphalique. Le cheval encore et toujours, le cheval. Acteur primordial chez Tarkovski, il passe dans le fond d'un plan à un moment, comme pour rappeler que Kelvin domestique et fait sien la nature, il se promène une heure par jour précisément, il ne lui accorde pas plus. Mais aussi les dessins du scientifique suicidé, des dessins de chevaux, comme une allégorie psychopompe encore une fois (dans Andreï Roublev). La déliquescence, le cours, d'eau, la sueur, l'azote liquide, Solaris, la pluie... Toutes les références à l'eau évoque une continuité, une fluidité, un rythme langoureux, une temporalité de la vie, une fatalité exacerbée par la présence et la provocation de l'homme. Il perturbe le schéma de la chute pluvieuse, la subie. Il pleut dans la maison à la fin, l'homme n'est rien, il subit le temps.

Avant de conclure. La scène finale n'est pas une étrangeté insurmontable. Il se retrouve devant son père, après avoir fait le tour de la maison. Il s'agenouille devant lui, son père lui appose les mains, comme au fils de prodigue de la parabole christique. Il sait, il est revenu, il a vécu, il a reconnu, il est un homme, son fils. Le scientifique Kelvin est mort, l'homme sensible prend place, en reconnaissant avec humilité et son erreur et sa force. Il est au milieu de Solaris, car Kelvin ne peut rentrer mais il voit ce qui est vrai, ce qui le fait vivre, le touche, instrumente ses sentiments. Il voit, il génère dans l'océan encéphalique sa volonté son ressenti. Il s'agenouille devant Solaris, il la reconnait, il s'excuse, il n'est pas détenteur d'une vulgaire solaristique, il n'est rien. Il reconnait Solaris qui l'adoube.

La réalisation de Tarkovski est résolument moderne, grandiose. La construction de l'image, sa photographie et sa richesses sont des exemples de qualités picturales, Tarkovski ne filme pas seulement, il donne vie à ce qu'il filme. Si la confusion peut nous effleurer, l'ensemble de reste d'une fluidité et d'une profondeur inconcevables. La musique est tout aussi sublime, Bach la tonalité de l'esprit, la musique mystique, spirituelle et religieuse est tout à propos. Les acteurs sont eux tout aussi excellents et donnent aussi vie et caractère à leurs personnages.

En définitive. On ne peut rester insensible devant se pan de la cinématographie tarkovskienne. Non! Solaris est une oeuvre majeure, un point d'appui autant filmique, que scénaristique et ouvre des perspectives de sensibles et réfléchies au cinéma/ La modernité, la technicité et l'ouverture du film est un modèle de cinéma. Il y a aussi beaucoup de personnalité et de caractère dans ce film, révélant ainsi que l'habileté et la beauté sont la meilleure manière pour faire passer un message. Toucher vous vous-mêmes et vous toucherez l'homme. Concédons de ne pas avoir raison.

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le 22 avr. 2013

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TheDuke

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