Un quelque part qui conduit à nulle part
Tout en continuant à mettre en scène des jeunes filles solitaires, perdues dans le vaste monde, en quête de repères, la réalisatrice Sofia Coppola abandonne les fastes versaillais de la Cour de France pour les collines hollywoodiennes de Los Angeles et l’hôtel mythique Château Marmont, construit en 1929, sur le modèle du château d’Amboise dans le Val de Loire. Tenant davantage de la pension de famille, constitué d’appartements où il est possible de faire sa propre cuisine et d’y résider pour une longue période, l’endroit étrangement vieillot et non dépourvu de charme demeure toujours le refuge de stars (James Dean, Montgomery Clift ou plus récemment Robert De Niro en furent ses plus prestigieux hôtes). Johnny Marco ne possède certes pas la classe ni le talent de ses illustres prédécesseurs. Cloitré dans la chambre 59, malgré le concours de jeunes femmes accortes et peu dispendieuses de leurs charmes, l’acteur s’ennuie ferme entre deux films, jusqu’à l’apparition de sa fille de 11 ans, qui, petit à petit, va lui faire prendre conscience de la vacuité de son existence.
C’est donc le vide et l’ennui que Sofia Coppola choisit comme axes principaux de Somewhere. Notions fort intéressantes en elles qui posent néanmoins le délicat problème de leur mise en forme et du geste cinématographique qui doit en résulter. La question décisive se résume aisément : pour évoquer le vide, un film doit-il l’être lui-même ? Si la réponse est positive, Somewhere est une réussite ; mais si la causalité ne s’avère pas, ce qui dès lors remettrait en cause l’essence même de l’art, le dernier opus de la réalisatrice de Marie-Antoinette relève du ratage, pour ne pas dire d’une réelle imposture formelle, rapidement identifiable dès un premier plan putassier où l’option de stopper plein cadre le bolide de Johnny Marco après avoir exécuté des tours de circuit prouve à l’évidence la fabrication calculée de l’ensemble. Ce n’est pas tant l’absence de scénario ou le refus de toute psychologisation qui dérange que le manque d’audace et de parti pris en matière de mise en scène, ôtant par conséquent le caractère minimaliste que d’aucuns prêtent à l’œuvre. Par peur du vide elle-même ou tétanisée par son sujet, Sofia Coppola refuse très vite l’étirement des plans comme elle multiplie les scènes dans lesquelles finissent par se passer plein de choses : conférence de presse, moulage du crâne de l’acteur (moment clef qu’il aurait justement fallu saisir dans sa longueur), voyage de promotion en Italie à la limite de la caricature. Ou faut-il appréhender cette escapade milanaise en lecture psychanalytique, en tentative d’établir des passerelles d’inculture crasse et de vulgarité assumée entre le Nouveau Monde et la vieille Europe ? Plus prosaïquement, il ressortit du tout une impression de clichés, une peinture à gros traits, sans finesse et tellement convenue, du milieu du cinéma. S’adjoignant les services du chef opérateur de Gus Van Sant, à qui elle pique aussi la chemise à carreaux comme fétiche vestimentaire, Sofia Coppola déçoit encore davantage qu’avec son troisième opus, ce qui ne nous laisse de nous inquiéter pour la suite.