Parfois, les mots sont accessoires

J’aime bien voir les adaptations des livres que j’ai lus. Même si je suis toujours plus ou moins déçue. Maintenant, dans cette dernière phrase, il va falloir que je rajoute un presque.

Visionné à peine 24h après avoir fermé le livre, les mots étaient encore très frais dans mon esprit. Et pourtant, je n’ai rien à redire. Ce n’est pas une adaptation parfaite dans le sens où elle reprendrait le texte à l’identique. Même sur un court roman, on sait très bien qu’il est impossible de traduire tous les mots, de reprendre toutes les scènes. Ce que j’ai beaucoup aimé, dans ce film, c’est que c’est assumé. Il y a deux frères – Thomas et Luc - mais leur relation n’est pas tout à fait la même, il y a Claire, Vincent et Manuel, eux non plus, pas tout à fait identiques. Ce sont ces petites différences qui donnent à ce film sa liberté et qui m’a permis de l’apprécier pour lui, en dehors du roman. Arrêtons donc là la comparaison.

C’est un film tout en simplicité. Souvent sans musique, même quand il n’y a pas de dialogues. Quand il y en a ils sont souvent absurdes. Quand on ne sait pas quoi dire, on dit n'importe quoi. La place du silence est grande. Comme dans la vie, en somme. Ce silence parfois très beau, parfois pesant. Ou simplement les bruits du quotidien de l’hôpital, ce bruit de draps, de machins qui sonnent, de roulettes avec laquelle se promènent ceux sous perfusion. Il n’y a pas de musique dans la vraie vie. Quand elle vient enfin, la musique n’en est que plus belle, plus intense, elle nous sauve presque de ces moments difficiles.

Le jeu est tout en retenue. Il n’y a pas ce sur-jeu que l’on retrouve trop souvent dans les production françaises, dignes descendantes du théâtre que j’affectionne, mais au théâtre. Les dialogues sonnent juste. L’émotion passe presque plus dans les non-dits que dans les mots. L’émotion ce sont ces regards, ces gestes. Bruno Todeschini et Eric Caravaca parviennent à faire passer tout un monde dans leurs échanges silencieux, dans les pauses entre leurs phrases et Patrice Chéreau a su les saisir.

Aucune scène n’est anecdotique. On pourrait se dire que tel jeune homme croisé dans un couloir n’a pas sa place. Mais il l’a. Des regards, une fois de plus, et l’on ne sait pourquoi il dit sa peine, sa peur à un parfait inconnu. Un moment hors de la relation entre les deux frères d’une intensité rare, d’une justesse magnifique. C’est quand ils semblent ne pas savoir quoi faire ni quoi dire que l’on se sent plus proches d’eux. Et ces moments trop longs où Thomas est à peine un homme entre les mains des médecins ou des infirmières, où Luc assiste impuissant au ballet des professionnels qui prend toute sa dimension dans le temps qu’il dure. Il n’y a pas de pathos dans ces scènes. Il y a une sorte de temps réel, presque documentaire – encore qu’on en aurait peut-être coupé dans un reportage pour lui donner du rythme – qui apporte l’émotion en nous laissant face à l’épreuve, comme si nous étions nous aussi dans la pièce.

Et l’on se laisser bercer par l’histoire de Thomas et Luc entre ce présent hypnotique au bord de la mer et ce passé très proche fait de docteurs, de traitements, de questions sans réponses, de retrouvailles et de départs. Tout s’enchaîne sans à coups, logiquement, mécaniquement. Sans beaucoup de mots, les scènes suffisent à nous mener doucement vers une fin dont on se doute. Parfois, les mots sont accessoires.
Nomenale
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le 10 mai 2013

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