En 1973, Ingrid Bergman sollicite le réalisateur Suédois pendant le festival de Cannes, où elle est membre du jury, alors qu'il y présente son dernier film, Cris et chuchotements. Sonate d'automne (sorti en 1978) est donc le fruit de cette collaboration, que l'on dit houleuse, tant la vision du personnage de Charlotte - jouée par Ingrid Bergman et qui devait se reconnaître un peu en elle - a semblé opposer le cinéaste et son actrice.


Sonate d'Automne raconte la visite d'une grande pianiste vieillissante à sa fille, à qui elle n'a pas rendu visite depuis sept années. Cette dernière, qui semble être restée éternellement petite fille, s'occupe pourtant de sa soeur atteinte de handicap, et est marié à un homme religieux. La joie des retrouvailles sera bientôt submergée par les rancoeurs de l'une et le mépris de l'autre.


Si la confrontation citée entre le cinéaste et l'immense actrice au cours du tournage ne se ressent pas au visionnage, le film n'est pas pour autant exempt de défauts. Dans sa première partie surtout, il est marqué par une narration trop précipitée : le film, dans son ensemble, est presque trop court ! Et il donne la sensation que certaines scènes, qui pourtant sont utiles au développement du récit, sont enchainées à grande vitesse pour arriver plus vite à l'apogée du film, c'est-à-dire, la grande séquence de confessions nocturnes.
L'on connait à Bergman cette façon de raconter par acmés successifs son récit, et d'en faire retomber la tension ensuite. Mais ici, tout ce qui préexiste à la confrontation de cette séquence est trop vite raconté, et cette dernière semble arriver trop tôt. Notons que la quasi absence de plans de coupe ajoute aussi à l'impression d'enchainement rapide.
Le plus flagrant dans cette narration précipitée sont probablement les cinq premières minutes du film, qui montrent Eva écrire une lettre à sa mère pour lui demander de lui rendre visite, puis, sa mère arriver, s'installer, se confesser sur ses dernières actions, apprendre que sa seconde fille malade est également à la maison, reprocher à sa première fille de ne pas lui avoir dit ; tout cela aura mérité un bien plus grand développement.


Autre reproche dans l'écriture, la sursignification de certains éléments, comme par exemple l'immaturité affective d'Eva, qui se ressent assez dans son comportement, mais est surlignée par des tenues vestimentaires inadéquates ou d'affreuses couettes de gamines dans les cheveux. Bergman est le cinéaste des non-dits, et semble ici maladroit dans son approche du personnage en disant trop.


Enfin, le rôle du pasteur et mari d'Eva, magnifique personnage en retrait, qui voit tout, aurait mérité plus de hors-champ.


Malgré cela, le film est immense. Comment se fait-il que les séquences les plus réussies dans l'ensemble résonnent encore parmi ce que Bergman a fait de mieux dans sa carrière ? Peut être simplement par qu'il est l'un des plus grands cinéastes de tous les temps, et donc, un metteur en scène prodigieux.


Le cinéma, c'est l'art de raconter par le plan. Et malgré la profusion de dialogues dans le film, Bergman trouve toujours un moyen d'exprimer quelque chose en plus, quelque chose qui ne pourrait pas se dire avec la voix, mais que l'on peut ressentir au plus profond. C'est avec le plan qu'il y parvient. Il y a deux plans qui à eux seuls, symbolisent tout le film et presque tout le cinéma de Bergman. Ces deux plans apparaissent à quelques minutes d'intervalle, lors de la séquence du prélude n° 2 de Chopin. Il y a d'abord celui, fabuleux, sur Charlotte, écoutant sa fille jouer le prélude ; un long plan glaçant sur le visage magnifique d'Ingrid Bergman, chez qui le talent inonde l'écran pour signifier le mépris. Ce plan semble dire "tu es ma fille, et je devrais t'aimer telle que tu es, mais je te méprise, tu joues mal et donc je ne me reconnais pas en toi". Pourtant, il n'y a plus un mot, est c'est bouleversant, car le pan dit déjà tout et il n'y a rien à ajouter.
Le second plan est forcément son envers, celui montrant le visage d'Eva, assise proche de sa mère jouant à son tour le prélude, et qui devrait, comme une mère avec à sa fille, lui faire preuve de transmission. Ce visage terrifié et hypnotisé de Liv Ullmann, qui lève les yeux pour regarder le monstre qui se trouve devant elle, tout en voulant être aimé de lui, est un sommet de cinéma.
Et l'on se dit, en voyant ces images, que certains cinéastes, plutôt que de tout expliquer par le dialogue ou la narration, feraient mieux de se concentrer sur ce qu'ils veulent faire passer dans leurs plans, c'est-à-dire, sans ironie, faire du cinéma...


Cette séquence, annonçant l'autre grand moment du film, où ces deux personnages se retrouvent seules dans la nuit, lorsque les rancoeurs surviennent et que les mots se détachent librement, emporte tout sur leur passage. On connait l'anecdote sur le déroulement du tournage et cela ajoute au mystère du personnage de Charlotte. C'est un véritable feu émotionnel, cadré à la perfection, qui prouve que le cinéma, dans ce qu'il a de plus simple (et qui est souvent le plus difficile à réaliser) est ce qu'il a de plus puissant.




A.A

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10
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Créée

le 10 mars 2018

Critique lue 268 fois

Annita Antourd

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