L’expression personnelle renvoie à un douloureux retour dans le passé : un drame psychologique explo

Après sept ans sans se voir, Eva, invite sa mère Charlotte, grande pianiste mondialement connue, chez elle. À huis clos dans le presbytère de son mari Viktor, elle vit également avec sa sœur infirme : Helena. Sa mère l’avait placée dans un institut spécialisé avant d’arriver chez eux. C’est dans cet atmosphère de retrouvailles familiales chaleureuses que va se profiler une confrontation lente et dévastatrice entre Eva et sa mère Charlotte.


Ingmar Bergman met conflictuellement en scène deux actrices importantes : Liv Ullmann avec qui il a tourné sans compter (Persona, Cris et Chuchotements, Scènes de la vie conjugale, etc), et Ingrid Bergman (sans lien de parenté avec le réalisateur, mais tous deux originaire de Suède), une des plus grandes actrices Hollywoodienne, ayant tournée avec Hitchcock, Rossellini, Curtiz, Lumet, Donen, Renoir, entre autres. La confrontation et la relation entre ces deux personnages peuvent être pensées hors du cadre de la fiction par rapport au choix de casting du réalisateur.


Entre mensonge et vérité, souvenirs et instant présent, un retour douloureux au passé empli de rancœur vient écraser la maison dans laquelle les deux femmes s’aiment et se haïssent tout autant, et au plus haut point. Dans une mise en scène d’elles mêmes, les deux femmes fragmentées tentent sans cesse de dissimuler les morceaux de vies qui les hantent. Eva d’abord présentée comme une petite fille insouciante et quelque peu naïve, se questionne sur sa maturité, et ne prendra son envol que lorsqu’elle se sera libérée de son passé. Charlotte présentée comme agréable et chaleureuse, dans sa robe rouge tactiquement choisie, va déborder progressivement vers un trop plein de fausseté. Son sourire fabriqué, ses silences, ses non-dits, et son entêtement de pianiste vaniteuse l'enferment dans sa souffrance mégalomane : elle fuit les conversations, elle parle seule dans sa chambre, elle soulage son mal de dos en s’allongeant sur le sol.


L’évolution des deux personnages à travers leur moyens d’expressions est la force motrice du film. Que ce soit par leurs vêtements, sortes d’habits sociaux, par le piano (que pratique également Eva) ou enfin mais surtout par la parole ; tous permettent de faire surgir la profondeur des sentiments humains aussi légitimes que contradictoires. Les champs / contre-champs simples mais puissants donnant la parole ou le regard à l'une, puis à l’autre, révèlent dans leur durée, les fortes personnalités en opposition de la mère et de la fille.


C’est dans la scène d’implosion silencieuse où elles jouent le “Prélude n°2” de Frédéric Chopin l’une après l’autre, que vont se révéler et se cristalliser dans leurs regards, leurs émotions retenues les plus tranchantes. Interprétée différemment par les deux femmes, la musique assiège le cœur de celle qui écoute. En pleine admiration, Eva contemple sa mère qui joue la musique “non-sentimentale”, et lâche un regard infini vers elle, en quête d’y trouver le mystère qui l’habite. Avec la massue du temps irréversible avec laquelle la mère semble se faire frapper, elle résiste malgré tout lorsque son sourire violent tente d'effacer ses larmes sincères. Ingrid Bergman, dont l’intensité dévastatrice nous atteint à chaque instant du film, a appris qu’elle était atteinte d’un cancer du sein avant le tournage. C’est d’ailleurs avec ce film, que l’actrice, alors âgée de 63 ans, tient son dernier rôle au cinéma...


Avec Sonate d’automne, Ingmar Bergman réalise un drame psychologique familial où toutes les tensions sont encadrées et enfermées à jamais dans des personnalités inchangeables. La vérité de leurs souffrances trouve sa place dans la justesse de jeu des comédiennes, filmées avec une douceur impitoyable. La relation mère-fille est ici pleine de haine, de silence et de regret, proche d’un amour qu’on pourrait presque voir se faufiler dans leurs cris et regards.



Mère et fille, quel terrible mélange d’affection, de désarroi et de destruction. Tout est possible au nom de l’amour et de l’affection.
Les blessures de la mère, la fille en héritera. Les méprises de la
mère, la fille les paiera. Le malheur de la mère sera le malheur de la
fille. Comme si on ne coupait jamais le cordon ombilical. Maman?
Est-ce ainsi? Le malheur de la fille est-il le triomphe de la mère? Ma
douleur est-elle ton plaisir secret?


Psukhe
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le 16 mai 2020

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