J'ai rencontré Kitano à un moment pénible de ma vie. Celle-ci était alors moribonde, pleine d'ennui et d'incertitude. Et sur les conseils avisés d'un ami, je me suis retrouvé un soir, seul devant un écran, et alors que la musique de Sonatine sortait par les enceintes, tout a changé.

Sonatine conte l'histoire d'un yakuza au bord de la retraite, Murakawa, campé par Kitano, qui pour se protéger de représailles de clans ennemis, se retirent avec quelques uns de ses alliés sur une plage d'Okinawa, le temps que les choses se tassent.
L'occasion alors de découvrir des yakuzas déboussolés par la quiétude de leur nouvel environnement et qui vont devoir apprendre à l'accepter.

Il est dès lors amusant de constater comment les dits yakuzas vont se débrouiller pour passer le temps, avec notamment l'irrésistible scène du combat de sumo, à mourir de rire... Ils sont quotidiennement habitués à la violence, et ça tombe bien, c'est une des obssessions de Kitano. La violence, c'est sale et ça fait mal. Elle est du coup représentée de manière très crue et froide, avec les fameux gros plans qui caractérisent son cinéma. Un coup ça fait mal. Une balle dans la tête ça tue, et c'est tout. Mais le réalisateur n'en fait pas une finalité, il a d'ailleurs un peu honte de montrer cette violence, qui est très régulièrement dans le film largement suggérée dans un contexte hors-champ.
L'humour pince-sans-rire typique des films du japonais y trouve bien évidemment sa place, avec des passages antholiques où Kitano rit au nez de la mort, en souriant à la vie.

Le personnage de Murakawa devient vite obsédant. Nihiliste, on le voit souvent en gros plan, jouant avec la mort, pistolet braqué sur la tempe et un grand sourire aux lèvres. Peu bavard, las, l'arrivée d'une jeune fille va pourtant le réveiller. Elle aussi empreinte d'un traumatisme, ils vont se rapprocher et sans jamais concrétiser, les deux y verront une lueur d'espoir éphémère.

Le choix de la plage comme unité de lieu est encore tout à fait relatif à l'univers de Kitano (voir liste "Takeshi Kitano va à la plage"), puisque cet endroit lumineux, pur et ensoleillé entre en contradiction avec ce qu'on pourrait attendre d'un film de yakuza. Rappelant souvent des souvenirs d'antan, et amenant à un inéluctable retour en enfance, avec ses jeux de plage, ses longues soirées autour d'un repas où on danse, la vision d'un temps insouciant.

Et tout cet univers est porté par les incroyables morceaux de Hisaishi, composés pour leur majorité d'une unique mélodie d'une poignée de notes, maintes fois reprises, arrangées, allongées, transformées, avec toujours cette idée de violence intérieure, de mélancolie mais aussi rappelant à la condition humaine avec cette idée de mort certaine.
Mais en orchestrant toutes ces idées sordides, Kitano rappelle toujours que derrière il y a la vie, et qu'en acceptant l'idée de la mort, on ne peut que mieux s'en sortir.

Cette rencontre avec ce cinéma d'ailleurs a littéralement changé ma version du monde. Aussi bien d'un point de vue cinématographique, car c'était alors mon tout premier pas dans le cinéma japonais, que je n'ai plus lâché depuis, mais également d'un point de vue moral. J'ai adoré la manière dont Kitano rit de la mort et pourtant la comprend. J'ai adoré son personnage nihiliste, j'ai adoré son humour, j'ai adoré son univers, la façon dont il prenait le temps de montrer les choses, sa fin tragique mais inévitable, tout ce que j'essaie maintenant de retrouver d'une manière ou d'une autre dans les films que je regarde.
Mais aucun n'atteindra de toute manière l'impact de Sonatine. Beau, torturé, nostalgique et mélancolique, violent et triste, drôle et inconfortable à la fois. Un film unique.

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le 31 juil. 2012

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khms

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