Alors qu’il avait déjà pas mal fait parlé de lui cette année avec son documentaire Voyage of Time, qui a suffisamment marché au point d’en multiplier les « séances uniques », Terrence Malick ne s’arrête pas là et propose déjà un nouveau film, plus proche de la tradition de son cinéma. Lui qui à une époque était le cinéaste le plus discret de tous les temps – l’écart entre son deuxième et troisième film était même de 20 ans – et en passe de devenir un des plus prolifiques de ces dernières années. Avec ce Song to Song, où il réunit encore un casting dantesque, il continue dans la lignée de son précédent film de « fiction », Knight of Cups. Mais au lieu de se concentrer sur la solitude de l’Homme moderne prisonnier de ses propres démons, il esquisse les déboires amoureux de 4 individus qui se mêlent et se démêlent dans l’espoir de trouver ce qui comblera le vide de leurs existences.


Encore une fois chez Malick, la forme embrasse le fond. L’osmose est toujours aussi parfaite avec l’utilisation du grand angle qui permet de totalement s’ancrer dans cet univers de sensation et de poésie. La photographie d’Emmanuel Lubezki fait des merveilles avec ce très joli travail sur les cadres et le clair-obscur qui parvient souvent à créer des visions sans pareilles. Mais c’est aussi par le montage que Song to Song arrive à impressionner notamment dans cette manière si particulière que le film a de brouiller la linéarité mais de parvenir à être très clair dans sa temporalité. Un travail d’équilibriste qui jongle avec fluidité avec les différents points de vue des personnages mais aussi les barrières du temps. C’est avec cette recherche de l’expérience de vie que Malick touche au génie, car il arrive avec beaucoup d’humanité à retranscrire des moments pourtant indescriptibles et difficiles à capter. Surtout que le film évolue dans un univers moins élitiste que celui de Knight of Cups par exemple, et permet à Malick de reconnecter avec une certaine forme de concret et se rapprocher ainsi de son spectateur. Cependant, c’est dans l’utilisation de l’ambiance sonore que le cinéaste déçoit ici. L’utilisation de la musique est relativement quelconque, ce qui est dommage pour un film qui se passe dans ce monde-là, Malick aurait aisément pu pousser le délire plus loin. Il faut aussi reconnaître que sa mise en scène commence un peu à stagner, malgré de très bonnes idées durant la première heure de film notamment dans sa manière de mettre en image de façon très symbolique le triangle amoureux formé par son trio principal où ces derniers se désynchronisent petit à petit les uns des autres, il réutilise des partitions déjà vues dans ses précédentes œuvres. Il gagne un peu en émotion mais perd en pertinence.


Avec Knight of Cups, il était arrivé au bout d’une logique où il laissait tomber toute forme de narration pour l’expérimentation pure, c’est ce qui rendait le film si percutant dans sa démarche. Il était évident qu’après ça, le cinéaste aurait besoin de se renouveler. Et même s’il apporte des choses intéressantes dans Song to Song, notamment avec un retour aux sources dans le dernier acte qui renverrait presque aux prémices de sa carrière, il manque cruellement de subtilité dans ce qu’il essaie de raconter. Rajoutant un peu de narration dans son processus créatif il tente de faire exister quatre portraits croisés mais aucun n’est aussi captivant ou novateur qu’il le pense. Le personnage de Ryan Gosling est le personnage malickéen typique dans son problème face à la figure paternelle et qui est en quête d’un idéal. L’acteur se montre toujours aussi formidable quand il s’agit de susciter l’émotion mais le parcours de son personnage n’est pas des plus surprenants. Celui de Michael Fassbender se montrera plus complexe et plus trouble servi en plus par l’excellent cabotinage et le charisme de son interprète. Le film arrive avec beaucoup de finesse à dépeindre le trouble qui régit son existence même si on regrettera que cela soit un peu délaissé lors du dernier acte. Mais ici le cinéaste s’intéresse plus à ses personnages féminins, surtout celui de Rooney Mara que Malick filme avec une attention non dissimulée. Elle excelle par sa justesse mais Malick en fait trop un moteur de son récit plus qu’un de ses occupants. Elle n’est pas aidée, par une voix-off toujours aussi appuyée et omniprésente. Elle incarne cette quête perpétuelle de vie, de la moindre expérience pour se sentir vivant et tombera dans une pose un peu trop froide, où l’on aura finalement du mal à s’investir en elle. La tragédie autour de Natalie Portman, ici poignante, aura des développements plus passionnants mais Malick ne cherche jamais à approfondir le drame. Elle est typiquement celle qui se voit consumer par la vie et elle souligne quelque chose de très nouveau dans le cinéma de Malick. Mais par crainte celui-ci semble ne jamais vraiment s’y investir et survole son portrait de manière très maladroite.


Song to Song s’apparente à une œuvre relativement mineure dans la filmographie de Terrence Malick. Le cinéaste à beaucoup plus de mal à se renouveler ici et fait même un pas en arrière plaçant son cinéma dans une position de stagnation. Il brasse les mêmes thématiques mais sans leur porter un regard nouveau. Le film finit même par être trop long et assez maladroit dans son manque de subtilité ou encore sa façon très détachée de gérer la tragédie. Malgré tout, Song to Song bénéficie de belles fulgurances lors de son premier et dernier acte. Que ce soit visuellement où le duo Malick-Lubezki démontre encore une fois toute la virtuosité de leur union mais aussi sur l’émotion où grâce à un casting étincelant, mieux servi et moins froid que d’ordinaire, il arrive à créer des moments particulièrement humains et touchants. Encore une fois le cinéaste signe une ballade poétique et sauvage qui fascine mais montre ses limites dans un spectacle toujours aussi beau mais finalement un peu vain.


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Frédéric_Perrinot
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le 12 juil. 2017

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