Dans la même lignée de « Moi, Daniel Blake » et de l’ensemble de sa filmographie depuis les années 60, Ken Loach continue de s’arracher pour rendre hommage aux familles qui souffrent de l’exigence d’un système. Le travail précaire, mêlé à l’ubérisation du travail, de la société de l’économie, met en lumière ce drame qui peut démanteler le plus solide des liens qui existent et pour lesquels nous nous battons chaque jour et à toute heure. Et avec Paul Laverty au scénario, il n’est donc pas étonnant de le voir recoller avec ces thèmes autodestructeurs et des personnages qui naviguent entre les inégalités, tout en encaissant, car il n’y a pas de voix, il n’y a pas d’écoute pour ces marginaux qui piétinent dans l’ombre.


Ricky Turner (Kris Hitchen), père de famille, définit cette détresse du moment, l’envie de cueillir le fruit mûr et généreux pour ses proches. C’est de cette note d’attention qu’il se heurte à ses propres principes, car sombre rapidement dans une forme de dépendance, nécessaire à sa survie et à ceux qu’il aime. Il s’endette et entre dans un jeu un tantinet mafieux, afin de livrer des commandes à travers un Newcastle gourmand et endormi sur les méandres de ce métier, entièrement à la charge du salarié. Ce contexte posé, le film ne recule plus et ne s’excuse jamais de ce qu’il entreprend. Il est bien évident que les décisions du père a un grand impact sur la vie de famille, à commencer par la polyvalence d’Abby (Debbie Honeywood), à l’instinct maternel et rationnel. Pourtant, elle se détache physiquement de ses enfants, car elle est toujours là à vagabonder de client en client, et la touche de générosité supplémentaire ou mal placée ne suffit pas à ramener un salaire confortable à domicile.


Nous avons donc à faire à des héros de l'ombre, mais qui se limitent au public familial, car il y a bien deux enfants qu’on laissant s’autogérer et on devine bien la suite. Seb (Rhys Stone) est bien l’adolescent rebelle qui prendra peu à peu conscience de son engagement dans la vie. À travers son regard, on lui donne une dimension métaphorique de son père, qui sacrifie tout au prix de ce qui ne peut se racheter. Quant à la cadette, Liza (Katie Proctor), elle est bienveillante et innocente. Présente pour renforcer les liens fragiles dans le récit, elle apporte également une légèreté dans l’absence des parents ou dans leur fatigue. Cependant, chacun manque ainsi un épisode dans la cellule familiale, qui pose des dilemmes et qui s’enchaîne sans pouvoir les arrêter. De plus, on l’extrapole subtilement à un monde ouvert, car ces voisins sur-engagés sont à l’image d’une société qui manque de communication et qui est rongée par la compétitivité. La vitesse à tout prix et la vitesse a tout pris.


Et en parlant de vitesse, on parle forcément du temps. Ce temps permet à la famille de se souder, mais permet aussi de la briser en un mouvement. « Sorry We Missed You » est un message fort qui s’adresse à ceux qui se sacrifient et qui s’arrachent pour satisfaire un client, qui n’a pas toujours le regard humaniste sur ces livreurs. On ressent ainsi une certaine colère dans la narration, car on ne cherche pas non plus à s’en extirper. On fonce dans la seule direction qui nous est proposée, sans aller-retour. On part et on ne reviendra jamais complètement. Une part de nous ne parvient pas à s’affranchir de cette tension et cette rage qui devrait encourager et non pas l’inverse. Loach comprend bien ces détails qui marquent sans doute notre époque, mais qui feront également écho, de nombreuses manières, à des situations plus hostiles qu’aura la vie sur notre façon de s’engager.

Cinememories
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le 25 nov. 2019

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