Soul
7.4
Soul

Long-métrage d'animation de Pete Docter et Kemp Powers (2020)

Cinq années après le très apprécié Inside Out, le M. Emotion de Pixar, Pete Docter, se repointe avec un nouveau film d'animation attendu faisant la part belle à une incarnation des mécaniques intérieures qui nous habitent. Il s'agit de Soul, disponible exclusivement sur le réseau de streaming Disney Plus. Le film raconte l'histoire de Joe Gardner, un éternel aspirant jazzman dont la vie s'est jusque là limitée à un boulot peu excitant de professeur de musique dans le public et de quelques concerts épars ne lui permettant pas de percer. Après sa mort inopinée, il sera confronté à 22, un esprit récalcitrant qui refuse de vivre sur terre, et dont la fréquentation lui ouvrira les yeux sur la manière de donner de la valeur à une vie.


Le principal problème qui se pose à mon avis dans Soul, c'est son côté patchwork d'envies différentes. D'un côté, la phase terrestre de la vie de Joe se caractérise par un ultra réalisme dans l'animation blindée de référentiel ; de l'autre, toutes les scènes se déroulant dans l'espace d'avant la vie sont particulièrement cartoonesques avec une direction artistique toute en rose bonbon et en rondeurs à laquelle j'ai beaucoup de mal à adhérer, surtout quand je sors d'une modélisation 3D d'une paire de Jordan 1 et d'une coupe à la XXXtentacion. Le mariage des deux – surtout au niveau de l'opposition dans les techniques de ligne et de couleur – me dérange fortement et me sort du film à chaque fois que l'on fait la transition de l'un à l'autre. Les animateurs du séminaire d'avant la vie rajoutent encore une couche de représentation radicalement différente avec une 2D conceptuelle rappelant La Linea – pour ceux qui ont eu le malheur de grandir devant l'île aux enfants – ou le travail de Mazzuchelli sur Asterios. C'est trop, et trop différent.


L'histoire souffre un peu de ce même problème en se prenant les pieds dans plusieurs lignes non pas tant superposées et complémentaires que concurrentes ; est-ce qu'on nous raconte la vie d'un homme qui s'efforce de ne jamais lâcher ses rêves ? Oui, mais on nous explique en même temps que ses rêves sont pour partie illégitimes parce que dans la vie vivre suffit, dans une espèce de tautologie de la médiocrité assez maladroite. On fait mine de construire avec le personnage de Terry un antagoniste qui n'est absolument pas menaçant dans l'absolu et qui apparaît à chaque fois trop brièvement pour clairement montrer ce qu'il doit incarner, l'acharnement bureaucratique. Le personnage est esquissé, ramené de façon un peu forcée à un comic relief peu efficace, et il parasite une intrigue déjà embrouillée. Le film face à ce nœud prend énormément de raccourcis qui sont assez désagréables parce que les personnages semblent toujours changer trop radicalement d'idée trop vite ; c'est déjà le cas avec Connie sur l'escalier – voire dès la scène d'intro dans son solo –, mais cela réapparaît constamment : la crise de 22 est lancée trop tard, résolue trop vite. Le changement d'opinion de la mère de Joe est aussi violent que sa déception subite après son passage. Tout cela fonctionne assez mal l'un dans l'autre.


Je suis assez déçu personnellement de l'utilisation de la musique dans le film, que je pensais être centrale – pour le coup ce n'est pas à porter à son discrédit, seulement à mon horizon d'attente, mais bon ça s'appelle Soul quand même –, et qui n'est qu'un prétexte pouvant être remplacé par absolument n'importe quelle occupation, ne changeant pas d'un iota le message. C'est d'autant plus regrettable d'ailleurs qu'esthétiquement les quelques scènes de musique sont vraiment parmi les plus réussies.


Je suis d'autant plus déconcerté devant le film que, dans le fond, je suis d'accord dans une perspective chrétienne et classique avec l'idée que la vie a une forme de nécessité et de jouissance dans la simplicité, et que les « grands » sont des figures au moins ambiguës, souvent damnées par les obligations du pouvoir, qui ne sont pas des modèles à suivre. Je suis d'accord avec le fait que la vie n'a pas à se déterminer de façon presque autotélique par l'accomplissement d'un but ultime à réaliser comme un héros. Mais le film ne parvient jamais à rendre l'idée convaincante, il ne montre jamais des personnages qui s'emparent activement de cette idée, ils montrent des perdants qui n'arrivent pas à ressentir et qui la subissent par dépit de ne pouvoir accorder le monde à leurs désirs. Et en ça, il revêt un côté assez fataliste, limite victimaire parfois, qui le rend pénible à suivre, impossible à accepter.


Je ne suis pas emporté.


https://www.youtube.com/watch?v=5PFuZ0pGtWs

S_Gauthier
5
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le 25 déc. 2020

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S_Gauthier

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