Zinos est malheureux. Sa belle, blonde, et grande fiancée part s'installer à Shanghai pour raison professionnelle. Or Zinos n'a pas le temps d'y penser. Zinos est très occupé, il a racheté un antique hangar industriel pour en faire un resto, le Soul Kitchen. On est toujours plus occupé quand on est à moitié fauché, qu'il y a une petite affaire à faire tourner, que Illias le frangin mauvais garçon « s'arrange » pour sortir de prison (quelque chose du genre permission de minuit jusqu'à l'aube) et que vos employés ou coéquipiers n'en font qu'à leur tête – un chef au caractère de Diva, un serveur-musicien qui prend ses quartiers au Soul pour ses répét'. Dire qu'il va falloir sauver l'établissement des mains des promoteurs avides.... M^#de ! Zinos vient de se casser le dos.

Après avoir creusé les aspects sombres de la vie et de la condition humaine, Fatih Akin a clairement déclaré avoir envie de caresser la légèreté d'une comédie ; qu'il aspirait à filmer joyeusement et amoureusement Hambourg, sa ville natale ; à retranscrire cette atmosphère tant aimée, baignée de musique, de plaisir et d'amitié ; à faire « son » Heimatfilm, avant qu'il ne soit trop vieux, trop blasé, avant d'en oublier les saveurs et les odeurs.

Vous ne trouverez rien de neuf dans le scénario de cette comédie. Vous trouverez pas mal d'éléments empruntés aux blagues potaches (totale relaxation chez la jolie kiné ou encore comment gagner sur le Fisc ?). C'est un pèle-mêle de situations de sitcoms, une bande de copains (de comédiens) réunissant leur quartier général dans un bar fétiche, cela rappelle quelque chose... Une variation de lieu, de décor sur le même thème. Alors si c'est du redit, du refait pourquoi ça colle ? Pourquoi tous ont parlé de feel good movie ? Peut-être parce que le film fait prodigieusement du bien.

Dans ce monde où rien ne va, où rien n'est à la hauteur de nos espoirs, avec fraîcheur et tendresse, F. Akin met en scène une aventure, beaucoup de soi (et du co-scénariste Adam Bousdoukos, également ancien propriétaire de La Taverna, restaurant qui a servi de modèle), une génération pas dupe mais pas plus désabusée, qui ne veut pas renoncer à ses rêves malgré la crise, malgré le système. Des portraits clichés pour des portraits justes. Lucia : serveuse au Soul, squatteuse et artiste en secret. Lutz : serveur au Soul, guitariste inspiré. Les rêves sont l'apanage de la jeunesse ? Pas seulement. Shayn le « vieux » cuisinier sur le retour, un brin bohémien est un exemple salutaire de non concession (un gaspacho chaud, jamais !) et rêve d'essaimer la bonne cuisine. Qui n'a imaginé poser ses pénates dans un resto arty aussi épatant ? Qui n'a souhaité essayer un chemin de traverse même pour un combat illusoire ?

Quant à la distribution, elle est parfaite. Les clins d'œil, la connivence sont d'abord entre le réalisateur et ses acteurs, que l'on sent se fondre naturellement dans leur rôle. En se faisant plaisir, on est vite rattrapé, ils nous font plaisir. Et en dernier ressort, ils font mentir l'idée qu'une comédie « locale » s'exporte difficilement. Les jeux de mots se traduisent mal ? C'est oublié. Le courant est déjà passé.

Il y en a qui diront que Soul Kitchen n'est pas la meilleure œuvre du réalisateur, inévitablement à cause de cet éternel conflit entre la grandeur de la tragédie et l'art supposé mineur de la comédie. Ignorons ces bruits de couloir, notre estomac (que dire de notre âme !) sera toujours reconnaissant de déguster cette cuisine-là.

En plus d'une bande originale ébouriffante et énergisante, le générique de fin façon flyers nous invite à rester jusqu'à la dernière minute.
Bamboo
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le 8 mai 2011

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Bamboo

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