Lina McLaidlaw, délicate aristocrate, épouse Johnny Aysgarth un saltimbanque au charme ravageur, fraîchement rencontré à bord d’une locomotive. Installée dans une somptueuse demeure, Lina ne tarde pas à nourrir des soupçons à l’égard des finances de son époux. Lorsqu’elle découvre que ce dernier lui ment pour couvrir ses dettes, Lina sombre dans la paranoïa, convaincue que Johnny échafaude un plan pour la supprimer.
Là où le thriller traditionnel tranche après que le suspense soit arrivé à son comble, Soupçons pourrait au contraire laisser un goût d’inachevé au spectateur. Plus psychologique que policier, ce long-métrage fait figure d’exception dans la filmographie d’Alfred Hitchcock par le traitement de l’intrigue. L’essentiel du film repose sur la psychose lancinante de Lina non pas sur le ressort dramatique placé au second plan. Tout un monde psychique mis à mal à travers le contraste déstabilisant entre une première partie du film d’un romantisme extatique et la défiance grandissante au sein du couple qui prend place dans la seconde. Jusqu’à l’apothéose, on peine à savoir si cet époux, prévenant aux premiers égards est victime ou non des circonstances.
Cary Grant, loin de ses rôles flamboyants, sert d’appui à la palette de jeu déployé par Joan Fontaine. L’actrice passe de l’exaltation amoureuse à l’enthousiasme contrarié, de la circonspection à la torpeur avec une facilité déconcertante. Le visage de Lina en proie aux doutes, sans cesse refléter par les miroirs qu’elles semble consulter comme des oracles, illustre avec intelligence le désordre mental qui s’enracine en elle. Le tout, soutenu par un jeu de clair-obscur dont le paroxysme est atteint dans la scène du verre de lait, remplaçant progressivement les décors sophistiqués des beaux jours du couple.
Le long-métrage Soupçons est aussi le résultat de circonstances malheureuses de réalisation et de tournage, peut-être même plus que le pur fruit pur de la réflexion de son auteur, néanmoins le film donne à voir l’art cinématographique d’Alfred Hitchcock sous un autre angle, à l’instar du burlesque Where is Charly ? . Il offre également un rôle d’envergure à Joan Fontaine parvient à incarner avec justesse un personnage féminin central, loin des clichés du film policier d’époque.