Ce marivaudage cruel et sensuel révèle un Bergman inattendu ! Les chassés croisés amoureux de quatre couples sont au cœur d'une comédie menée à la cravache au rythme de musiques moqueuses ou ironiques. Le cinéaste cherche à se faire plaisir et à rire de tout - y compris des sujets les plus graves. Vivacité, gaieté et fantaisie caractérisent l'atmosphère de cette histoire de la Belle Époque, où l'esprit du "Songe d'une nuit d'été" et de certains films de Max Ophüls ressuscitent. Les scènes primesautières défilent, les dialogues à l'accent théâtral crépitent, jettent un regard aigu sur la comédie humaine.


L'avocat Fredrik Egerman (Gunnar Björnstrand est abonné aux avanies) est le héros digne et pitoyable de cette histoire : "L'amour est à peine supportable..." confie-t-il à son fils Henrik. Le vieux bouc se croit amoureux de sa trop jeune épouse Anne, encore vierge après deux ans de mariage... Il n'en peut plus d'attendre ! En la caressant il rêve tout haut d'une ancienne maîtresse Désirée Armfeld, tenaillé entre une abstinence infernale et des songes voluptueux... nous compatissons à son martyr ! Scandalisée, Anne va se rapprocher d'Henryk, fils d'un premier lit de l'avocat, qui a son âge, l'aime éperdument et lui obéit à merveille...


Ainsi les femmes manipulent discrètement les hommes pour satisfaire leurs désirs. L'actrice Désirée veut se faire épouser par Egerman, son amant le comte Malcolm va l'y aider à son insu. Sa femme Charlotte confie à son amie Anne : "L'amour est une chose ignoble !" Elle aime son mari et le hait car il est infidèle. Pour se venger, elle a pris un amant avec répugnance. Désirée et Charlotte cèlent une alliance rejointe par Anne : les couples Egerman et Malcolm sont invités dans la belle maison de campagne des Armfeld avec Désirée et Henrik. C'est l'été, la saison des amours...


Henrik le romantique refuse de boire à la réussite d'une fête champêtre où chacun espère jouir aux dépens des autres. Désespérément amoureux d'Anne, il court se pendre, mais la chance lui sourit en cette nuit de la saint Jean et il jouit d'une mort inespérée ! D'ailleurs Bergman n'épargne ni le fils ni le père. Chez Désirée, Fredrik avait piteusement battu en retraite face à Carl-Magnus Malcolm. Cette fois l'officier trompé le provoque en duel à la roulette russe : une chausse-trappe entre nigauds ! Parallèlement, un quatrième couple s'est formé entre serviteurs. Après avoir tenté de séduire Fredrik puis Henrik, leur soubrette Petra est accaparée par le valet des Armfeld. On se lutine dans le foin, d'autres couples badinent sous les arbres ou ailleurs...


"Sourires d'une nuit d'été" est un vaudeville gorgé de poésie, où la farce voisine avec le drame et la féerie, porté par des musiques légères, allègres voire ironiques. Quand Egerman accompagne Désirée chez elle le long d'un canal, ils chantent une ritournelle où le plaisir et l'amour pétillent et se reflètent dans l'eau... Egerman marche au septième ciel... avant de s'effondrer dans un plan d'eau... Le ridicule des hommes nous fait sourire : comme le comte Malcolm (Jarl Kulle), un officier prussien à monocle et à moustache, raide comme une trique, obsédé de duels.


La photographie en noir et blanc d'une qualité rare met en valeur la beauté physique et morale des femmes. Anne (Ulla Jacobsson) incarne la fraîcheur innocente et sensuelle, Désirée (Eva Dahlbeck) la beauté indépendante et volontaire ("Ce gosse est à moi seule !"), Charlotte (Margit Carlqvist) la noble fidélité et Petra (Harriet Andersson) la nymphomanie épanouie. De plus les personnages secondaires comme madame Armfled mère - au caractère affirmé - respirent la fantaisie. Même Henrik l'empoté surprend son monde en enlevant Anne dans une calèche et en fonçant dans la nuit à tombeau ouvert...

lionelbonhouvrier
8

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le 6 déc. 2018

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