Sous le soleil de Satan par Gérard Rocher La Fête de l'Art

En 1926, dans le bourg de Campagne, au nord de la France, le curé-doyen l'abbé Menou-Segrais décide de prendre sous sa coupe un jeune séminariste, abbé Domissan. Pour arriver à sa fonction ses études ne furent guère brillantes, et ici même l'homme est torturé par le doute en ses capacités à remplir son sacerdoce. De plus l'abbé Domissan n'arrive pas à surmonter son obsession de la recherche de l'absolu et il se sent responsable de cet état face à Dieu. Il s'inflige régulièrement des mortifications afin de faire pénitence et alléger sa conscience.
Compte tenu de tous ces éléments il ne parvient pas à se lier aux paroissiens, ce qui pousse le curé-doyen à prendre du recul et à réfléchir sur la vocation de son protégé. Ainsi c'est à Etaples que l'abbé Domissan est invité à se rendre et c'est à pied, par les chemins creux, qu'il va prendre la route. Durant cette marche épuisante il fera des rencontres qui bouleverseront sa vie et sa conscience.

Il croisera un maquignon en qui il croira reconnaître Satan personnifié, puis Mouchette, une jeune fille de seize ans enceinte et meurtrière du marquis de Cardignan. Celle-ci, après avoir demandé en vain sa protection auprès de son amant, le député Gallet, se confie à l'abbé lequel a "vu" le crime et la culpabilise afin de lui purifier l'âme. En fait il provoque le suicide de Mouchette dont il va déposer le corps devant l'autel de l'église.
Face à ce scandale, l'évêché ordonne au jeune abbé de se retirer quelques temps à la trappe de Tortefontaine avant de rejoindre la paroisse du petit village de Lumbres. C'est là qu'il va ressusciter un enfant et devenir un saint vis à vis de ses fidèles.


L'abbé Domissan n'était pas vraiment prêt pour être homme d'Eglise car il doute en permanence de sa foi d'autant plus qu'un fossé le sépare de ses fidèles. Il est persuadé, et le dit d'ailleurs lui-même, avoir perdu la lutte contre Satan. Il se sent responsable devant Dieu et ne peut soulager sa conscience qu'en s'infligeant des châtiments corporels en signe de repentance.

Lorsqu'il fait la rencontre d'un maquignon, alors qu'en pleine souffrance il arpente les chemins boueux de la campagne, envahi par l'obsession de Satan, il se persuade de l'avoir rencontré en personne ce diable qui, d'après l'abbé, peut se vanter d'être le maître. C'est donc cet ennemi qu'il faut combattre et combattre afin de justifier sa foi en Dieu.
La rencontre avec Mouchette sera la démonstration de son trop plein de doute. La jeune fille est perdue entre le meurtre du père de l'enfant qu'elle porte et la désinvolture de son amant qui ne peut la protéger. L'abbé Domissan est son seul recours. Elle fonde plein d'espoir dans leur rencontre fortuite. Or l'abbé va juger jeune fille au travers de sa propre conscience. Il va la culpabiliser en pensant la rapprocher de Dieu et ne parviendra qu'à la pousser au suicide.

Dans ses bras il amènera le corps ensanglanté de la jeune fille dans l'église et le déposera devant l'autel comme un sacrifice demandant au Tout-Puissant d'accepter son âme. A la suite de ce véritable scandale, l'évêque l'envoie le temps de sa "guérison" à la trappe de Tortefontaine où il pourra méditer sur ses relations contestables avec l'Eglise et sa vision très particulière de sa religion et de l'exercice de sa fonction de prêtre. Lorsque sorti de sa retraite il sera nommé curé de Lumbres, il remportera enfin "sa" victoire sur Satan en accomplissant le miracle de ressusciter un enfant, offrant à Dieu son salut en échange.
C'est dans un effort désespéré, à force de pénitence, qu'il recevra une dernière fois ses fidèles en les confessant et c'est considéré par eux comme un saint que l'abbé Menou-Segret viendra lui fermer les yeux. Ainsi aura vécu ce jeune curé torturé au plus profond de lui-même par son bâton de pèlerin de l'Eglise trop lourd pour lui à porter.


De cette adaptation à l'écran du merveilleux roman de Georges Bernanos, Maurice Pialat a réalisé un film froid, noir, désenchanté et troublant. C'est en fait une magnifique analyse d'un homme croyant en un idéal qui lui est inaccessible. Il est la proie d'un sentiment de responsabilité et de révolte envers lui. Gérard Depardieu campe ce personnage atypique avec une puissance dramatique extraordinaire. Il est entièrement dans son rôle, il le vit, il le respire et j'estime qu'il n'a jamais été aussi impressionnant que dans ce personnage d'Eglise. Sandrine Bonnaire aussi campe le personnage tourmenté de Mouchette qui, à seize ans, est "coupable" d'être belle et attirante, d'être aussi la victime de la lâcheté de ces hommes dissimulateurs de la haute société de l'époque et rejetée par un curé, son dernier refuge. L'actrice est elle aussi émouvante et attachante dans ce personnage cachant sa douleur derrière un air d'insouciance. Maurice Pialat qui se met en scène tient le rôle de l'abbé Menou-Segret, homme d'Eglise, fataliste devant le comportement de son jeune protégé. Il entre dans la peau de ce personnage avec beaucoup de sobriété et de retenue notamment dans une scène finale bouleversante. Le maquignon, le supposé Satan, intrigant à souhait, est fort bien interprété par Jean-Christophe Bouvet . Ce drame se déroule à travers de magnifiques paysages malgré leur hostilité envers l'abbé Domissan.
L'œuvre de Georges Bernanos est bien sûr "allégée" en fonction des objectifs du film toutefois Maurice Pialat arrive à convaincre en apportant sa sincérité dans le texte et dans les attitudes de ses personnages. Sa vision de cette œuvre est assez remarquable.


Lors de la remise de la "Palme d'Or" pour ce film au Festival de Cannes 1987, Maurice Pialat déclara à ceux qui pour une raison ou une autre huaient ce film: "Si vous ne m'aimez pas, sachez que je ne vous aime pas non plus..*.
Comme il a eu raison de faire cette déclaration devant un parterre en partie peuplé de gens intolérants, fermés à la liberté d'expression et n'admettant dans leur étroitesse d'esprit que leur vision des choses! Il est vrai que le réalisateur a l'habitude de ne pas plaire à certains ...


Ce film a remporté:



  • La Palme d'Or au Festival de Cannes 1987.


Ma note: 8/10

Grard-Rocher
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le 21 févr. 2014

Modifiée

le 9 mai 2013

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