Southbound, dernière production en date du collectif Radio Silence, marque un tournant décisif et plus contemporain de la pratique de l'anthologie horrifique, après un V/H/S qui induisait un mélange inédit entre les gimmicks de l'anthologie et le format found-footage, puis le passablement raté The Devil's Due, long-métrage classique, toujours tourné sous forme de found-footage, les trois gars de Los Angeles ont apparemment décidé de changer quelque peu de direction, tout en restant fidèles à leurs racines. Le format anthologique semble en effet stagner artistiquement depuis quelques années. Ce sentiment devait certainement habiter l'esprit de l'équipe derrière Southbound, qui s'est dirigée dans une direction différente de leurs deux films précédents, gardant le meilleur des deux expériences, en délaissant notamment le found-footage, et en se dirigeant vers une production plus mature, créant un effort réellement collaboratif qui entrelace cinq histoires à la fois au niveau narratif et thématique. Avec comme résultat un film qui n'échappe pas aux problèmes habituels inhérents au genre, mais installe une cohérence à toute épreuve qui en fait de loin la meilleure anthologie d'horreur des dix dernières années.


Prenant place dans le paysage désertique et sombre du Sud-Ouest des Etats-Unis, les segments se chevauchent à plusieurs niveaux. Outre les transitions particulièrement stylisées, pensées pour lier chaque court-métrage avec son successeur, le film conserve également une certaine cohérence stylistique tout au long du récit, ce qui offre des avantages certains. Cette cohésion est à mettre entièrement au crédit des auteurs derrière le film, qui sont de réels passionnés à la recherche constante d'innovation, et qui offrent ici une œuvre qui souffle comme un vent frais sur un genre trop souvent inconsistant.


Dans ce film, la cohérence n'est pas uniquement scénaristique, mais aussi thématique. Les réalisateurs de Southbound profitent pleinement du terrain de jeu offert par la solitude et l'isolement du sud-ouest américain, où le manque de services publiques et de réseau de téléphonie est un fait établi et largement exploité par l'ensemble des courts-métrages, dans ce monde à part, il peut se produire des choses horribles sans que personne n'en soit au courant à des kilomètres à la ronde. C'est également une zone dans laquelle les esprits les plus dérangés peuvent échapper aux yeux du monde en toute quiétude, et c'est d'ailleurs ainsi que le film commence, avec "The Way Out" réalisé par les trois larrons de Radio Silence. On y suit l'histoire de deux personnages, (joués par les réalisateurs eux-mêmes) Mitch (Chad Villella) et Jack (Matt Bettinelli-Olpin), qui approchent d'une station-service à bord d'un vieux pick-up. Une situation à priori banale, dans le cadre d'un film de ce genre tout du moins, cependant, ce film possède une certaine ambition, et les renversements scénaristiques qui s'ensuivent saisissent immédiatement le spectateur à la gorge pour ne plus relâcher l'étreinte jusqu'à la fin du dernier acte.


Cette introduction est intéressante dans sa démarche. Elle n'a d'autre utilité que de faire rentrer le spectateur dans une histoire délibérément cachée, planant au-dessus de l'ensemble du récit, on commence déjà à percevoir une ambiance très particulière, le scénario semble comme coincé dans une sorte de boucle fermée, qui tient ici un rôle de soutien à la structure narrative globale du film. L'intrigue volontairement vague rend ce segment facile à oublier, mais le travail de mise en place des éléments est remarquable, c'est clair, limpide, et terriblement prenant! On parvient sans peine à déceler certains des thèmes majeurs qui traverseront l'ensemble du film: La peur de l'inconnu, le regret, la culpabilité et la rétribution.


On remarque immédiatement une certaine qualité de réalisation, notamment au niveau des effets spéciaux, qui sont bluffants pour un budget aussi modeste. Le parti-pris d'une sorte d'hybridation d'effets pratiques et de CGI créatifs est particulièrement saisissant et participe à la mise en place d'une imagerie sans équivalent dans le genre, donnant un aspect visuel unique à ce film.


Cette qualité se retrouve également dans les trois courts suivants, dans l'exceptionnel "Siren", Roxanne Benjamin pose une mise en scène extravagante et déroutante, couplée à une direction d'acteur de haute volée, ce segment peut être vu comme une seconde introduction à un film à l'intérieur du film, déviant de l'horreur pure pour partir sur un concept plus abscons, proposant quelques retournements scénaristiques diaboliques, avec une fin sombre mais très divertissante, ce concept continue avec le sinistre "Accident" de David Bruckner, qui se pose comme le plat de résistance du récit, un morceau franchement horrible de body horror, tout autant mémorable par son originalité que par son sadisme. La tournure scénaristique prend ici des airs de manipulation psychologique et saute à pieds joints dans la dépravation extrêmement graphique du corps humain, tirant un impact tout autant puissant du désespoir de nos personnages que du réalisme des superbes effets spéciaux prosthétiques réalisés pour l'occasion. Bruckner met en image une idée incroyablement tordue, d'une intensité rarement atteinte dans ce domaine, créant un sentiment de malaise extrême, alimenté par une ambiance mystérieuse et intrigante. Déroutant, fascinant, mais surtout sans pitié, ce point central du récit se profile comme l'une des expériences cinématographiques les plus violentes de ces dernières années, il est d'ailleurs préférable d'avoir l'estomac bien accroché avant de tenter le visionnage, tant la cruauté du spectacle proposé peut secouer même les plus solides spectateurs, ce segment hantera assurément vos nuits de sommeil pendant de longues semaines, vous êtes prévenus!


Cependant, ce film sait aussi se montrer plus clément avec nos émotions, une anthologie présente toujours quelques moments de faiblesse, et dans Southbound, c'est dans le dernier tiers du film qu'il faut aller les chercher. En introduisant des éléments de surnaturel sans explication claire, le tronçon de Patrick Horvath et son co-scénariste Dallas Hallam brise quelque peu l'illusion convaincante de l'ambiance réaliste et sinistre des précédents segments, bien heureusement, la toute dernière partie, à nouveau réalisée par l'équipe de Radio Silence, parvient à redresser la barre en offrant au film une conclusion effrayante, notamment en présentant, comme pour l'introduction, une galerie de créations numériques formidablement façonnées.


Le fait que la partie la plus faible du métrage se situe à sa fin pourrait être vu comme un énorme défaut (et soyons clair, c'en est un), heureusement, au-delà d'une réalisation moins inspirée, l'harmonie stylistique est toujours présente, et la thématique générale et visuelle, toujours respectée.


Le visuel, parlons-en, le simple fait de parvenir à rendre des sites complètement désertiques aussi terrifiants est déjà un sacré tour de force en soi, les quatre directeurs de la photographie abattent un excellent boulot, en parvenant à transformer des paysages stériles en un lieu menaçant et dangereux, duquel les personnages ne semblent pouvoir trouver aucune échappatoire. Ce film est, dans l'ensemble, un très bon exemple à suivre dans la manière de penser le cinéma d'horreur comme un travail de groupe, tirant d'énormes bénéfices d'un effort plus collaboratif, où même un travail de réalisation plus faible que les autres peut être rattrapé par une thématiques générale et un style graphique traversant l'ensemble de l’œuvre. Un film comme Southbound contribue largement à faire souffler un vent frais sur un genre de plus en plus vicié.


Pour résumer, Southbound est un film extrêmement bien conçu, techniquement irréprochable, que ce soit sur un plan purement visuel ou dans une simple logique de construction, nous faisant voyager à travers des environnements variés, du sable brûlé par le soleil aux recoins les plus sombres des vieilles bâtisses oubliées, traversé par une thématique unie malgré son statut d'anthologie horrifique. Le collectif Radio Silence et leurs collègues cinéastes ont accouché d'un travail sans commune mesure, en mettant leur propre grain de sel au service d'un plus grand dessein, parcourant tous le même chemin de manières différentes, liant leurs récits par des transitions fluides, enveloppées dans une narration redoutablement efficace. Tous ces éléments réunis font de Southbound un voyage qui ne ressemble à aucun autre, traversé comme un conte halluciné, présentant une violence décomplexée et une puissance évocatrice hallucinante, en somme, un film qui vaut la peine d'être découvert sous toutes ses coutures.

Schwitz
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le 18 nov. 2016

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