D'emblée, nous sommes plongés dans l'ambiance. Le générique nous montre un Cuba qui se déroule devant nous comme un paradis terrestre, avec une population heureuse vivant en communion avec la nature, le tout sur fond de musique mélancolique et avec un poème qui s'écoule en voix off d'une belle voix douce et chaleureuse.
Puis, le contraste violent. On se retrouve en pleine ville, dans un défilé de mode d'une grande vanité, sur fond de musique tonitruante. Nous sommes dans le Cuba de Battista, le dictateur qui dirigeait le pays avec le soutien des Américains. Et qui a perverti le pays.
C'est bien l'objet de la première des quatre parties qui constituent ce film. On est dans une boîte de nuit où de riches Américains pervertissent tout avec leur argent et leur arrogance. En particulier, ils s'attaquent aux jeunes femmes (jeunes filles ?) qu'ils corrompent avec leur argent pour en faire des objets sexuels. Ils se vautrent dans un luxe d'autant plus indécent qu'il côtoie les bidonvilles où tente de survivre une population démunie.

Disons-le tout de suite, Soy Cuba est un film de propagande. Mais pouvait-on s'attendre à autre chose de la part d'un film co-produit par l'URSS et Cuba en 1964, cinq ans après la victoire de Castro ? Avec Soy Cuba, Kalatozov s'inspire d'Eisenstein et réalise son Octobre à lui. En quatre partie, il montre d'abord les injustices du régime de Battista, puis les premiers actes de rébellion et enfin la révolution castriste. Les méchants sont Américains ou soutiennent la dictature en place. Les autres sont des victimes : pauvres paysans exploités par un système inégal, rebelles qui cherchent à s'exprimer et sont sévèrement réprimés. Pas de héros à proprement parler, mais des hommes et des femmes ordinaires.
Il faut dire que le film ne raconte pas vraiment une histoire. Par sa réalisation, Kalatozov insiste plus sur les sentiments que sur l'action. Il ne veut pas nous montrer l'injustice, il veut nous la faire vivre. Il ne veut pas nous expliquer la révolution castriste, il veut nous y faire adhérer. Une insistance sur les émotions qui rappelle Tarkovski qui, à la même époque, faisait son Andréi Roublev.
Techniquement, Soy Cuba est une claque de chaque instant. Le film est constitué de très longs plans séquences très sensuels, avec une caméra très mobile et une innovation permanente, comme dans ce plan où on survole une foule, la caméra passant d'un immeuble à l'autre au-dessus de la rue.
Des plans qui savent être très sensuels. Un jeu sur les lumières et les ombres. Des plongées ou contre-plongées qui subliment les personnages. Des jeux sur les premiers plans, les profondeurs de champ, les cadrages. Des hommes qui vivent en harmonie avec la nature. Une dignité qui s'éveille progressivement après avoir été écrasée. Une puissance évocatrice unique. Un film exceptionnel, qui dépasse largement le seul cadre de la propagande. Un film inoubliable. Un opéra d'images et d'émotions. Un immense poème cinématographique d'une intensité rare.
SanFelice
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le 17 mai 2013

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SanFelice

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