Quoiqu’impressionné par sa prise de vue, le jeu de certains comédiens m’avait empêché de savourer pleinement le film Quand passent les cigognes de Mikhail Kalatosov en 1957. Cette fois rien n’est venu entraver mon éblouissement pour le travail du réalisateur et du directeur photo Sergueï Ouroussevski. Par l’entremise d’une voix narrative, le film nous dépeint l’île de Cuba et nous introduit quatre situations venant justifier le déploiement de la révolution castriste. Maria qui se prostitue dans des bars fréquentés par des Américains pour se sortir de la misère, Pedro qui perd sa raison d’être lorsque la United Fruit achète la terre qu’il louait pour sa plantation de cannes à sucre, l’étudiant Enrique mort en martyr au nom de la liberté et Mariano qui prend les armes après qu’on ait tué son fils en bombardant son humble demeure dans la Sierra Maestra. Les deux premiers personnages subissent les abus de la culture américaine et de la tyrannie de Batista tandis que les deux autres contribuent à les chasser de l’île. Caméra à l’épaule, Ourossevski est au milieu de la mêlée. En se collant au protagoniste de chaque histoire, il exacerbe leur détresse et leur donne une dimension héroïque. Les images qu’il en dégage sont saisissantes et d’une grande valeur poétique, ce qui semble avoir déplu aux gouvernements cubain et soviétique qui avaient commandé la production. Soixante ans plus tard, s’il y a une révolution qui a conservé toute son intégrité, c’est la manière de tourner du duo russe dont l’héritage cinématographique demeure unique.