Soy Cuba…



L’ésotérisme américain se meut auprès des palmiers. En chanson, sur les tessitures chaudes des voix latines, Mikhail Kalatozov enflamme notre âme cinéphile. Dès l’introduction, il donne des ailes à sa caméra et l’a fait descendre le long des parois d’un immeuble, virevoltant auprès des convives désinhibés. Sa chute est lente, écho de la décadence du régime de Batista. Elle finira au fond de la piscine, entourée de corps déformés par les mouvements de l’eau. L’aliénation d’un peuple n’est pas loin.


Un homme, un club. La chaleur du lieu transpire par tous les pores de la pellicule. Le rythme est endiablé, l’homme se met à danser devant le rideau, il est sur la scène, il est Cuba. De l’autre côté se cache la main du capitalisme. Elle s’empare des amours naissant, de l’espoir et l’innocence d’une jeune génération cubaine désabusée. Dans sa prétention et son arrogance, elle achète même les dons de dieux, puisqu’il n’est pas suffisant d’acheter la chair et la pureté.


Une fêlure pourtant s’immisce au sein du club. Puisque de mon esprit tu te crois roi, de mon corps tu crois avoir possession, ma volonté et mes mouvements tu ne pourras contrôler. Au milieu du club, une fissure ondule, s’électrise à en perdre la raison.



Soy Cuba…



Je suis du petit peuple Cubain. C’est aux cannes à sucre que je dois mon salut, dans leur beauté et leur volonté d’émancipation. Elles qui se tiennent fièrement vers le ciel, et qui s’élèvent pour que nos rêves s’accomplissent.


Dans ce cadre idyllique pourtant l’ombre approche. Derrière la colline, la main du capitalisme proclame et destitue. Elle enflamme mon discernement, mes principes et ma sagesse. Le clair-obscur prend vie, et je m’enlise dans son spectre, ainsi que mes biens les plus chers.


Une fêlure pourtant s’immisce dans la fumée opaque. Puisque de mes terres tu te crois roi, de mon libre-arbitre tu crois avoir possession, ma volonté et mes mouvements tu ne pourras contrôler. En marge du champ, une fissure ondule dans des corps d’enfants. L’espoir renaît, s’électrise à en perdre la raison.



Soy Cuba…



De passion il est maintenant question. La jeunesse bafouée à mainte reprise s’organise, élan du peuple, voix des expectances naissantes, elle doute encore de sa propre volonté. Limpide sera pourtant les décisions futures quand la trahison arpentera les rues et que les subordonnés de l’ombre tireront à vue sur l’espérance. D’un corps uni le peuple marche, investissant la place, et au-devant, son porte-étendard s’élève en martyr.


Pour la deuxième fois Mikhail Kalatozov donne des ailes à sa caméra, littéralement. Elle s’envole d’un immeuble à l’autre et s’élève au nom du persécuté. Elle traverse lentement la salle où le peuple se prépare à hisser le drapeau. La révolution est en marche, là où s’anime la caméra, là au milieu de la rue, elle flotte, inatteignable, tout comme l’idéologie qui convoque sa renaissance et s’électrise à en perdre la raison.



Soy Cuba…



Je suis du petit peuple Cubain. Par moi, par vous, nous embraserons l’ombre, nous oublierons nos peurs, et nous marcherons ensemble contre la tyrannie. Notre poème emplit nos terres et notre symphonie s’écrit au son de nos pas. Nos ennemis qui jadis se gargarisaient de nos vies goûtent à présent à nos chants funestes. Notre pays renaît et s’électrise...à en perdre la raison.


"Soy Cuba."


NB : Je fais librement fi de la propagande qui a court dans le récit que nous livre M. Kalatozov tant elle ne constitue pas l’essence même de l’œuvre et qu’elle est sublimé par le travail sur un noir et blanc saturé et unique. C’est une ode au peuple dans sa diversité. Une ode à Cuba.

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le 5 avr. 2016

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Westmat

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