Allez, ça fait quelques mois que les Oscars 2016 sont passés, c’est le moment idéal (pas du tout) pour se pencher sur le film qui a raflé cette année la récompense suprême du cinéma américain. Et l’intro s’arrête là, parce qu’aujourd’hui est un grand jour, puisque je pense avoir atteint un degré de prétention suffisant pour ne serait-ce qu’essayer de définir, sans tenir compte d’aucun avis divergent, ce qu’est un bon film…


Autant entrer directement dans le vif du sujet: Spotlight est un film mauvais. Alors certes, ça peut paraître un peu catégorique de balancer ça comme ça, mais essayons de nous pencher un peu plus en détails sur ce qui fait de ce film un mauvais film. Et pour ça, on va essayer de reprendre point par point ce qui fait d’un film un film (pas un bon film, juste un film). Au passage, pour ceux qui ne l’auraient pas vu, le film retrace le parcours des journalistes qui ont obtenu le prix Pulitzer en 2003 en révélant que les prêtres pédophiles étaient couverts par l’Église et donc très rarement, voire jamais condamnés, ni même poursuivis.
Mais alors, qu’est-ce qui fait d’un film un film ? Hé ben y’a deux, trois trucs, même s’il me semble avoir déjà plus ou moins parlé de ça dans ma critique sur Blue de Derek Jarman. Il y a en particulier trois choses qui donnent au cinéma son exclusivité: le sens du cadre (encore que, on pourrait attribuer ça à la peinture, si ce n’est qu’au cinéma l’immobilité crée du sens alors qu’elle est une contrainte en peinture), la mise en scène (différente de celle du théâtre, ici il s’agit d’allier les mouvement dans le cadre et les mouvements du cadre, de la caméra donc), et le montage. Pour faire bref, un bon film est un film qui se sert de ces trois éléments comme vecteurs de sens, en privilégiant leur utilisation à celle, par exemple, des dialogues (attention, je ne dis pas que les dialogues ne sont pas importants dans un film, des bons dialogues c’est toujours un plus, je dis juste qu’ils sont secondaires par rapport à ces trois éléments, dans l’idéal on ne devrait utiliser les dialogues qu’en dernier recours pour faire passer une information).


Faut-il pour autant renier l’acteur au cinéma ? Non, évidemment non. On a quand même vachement plus de chance de faire un bon film avec des bons acteurs qu’avec des mauvais, mais disons qu’ils ne définissent pas à eux seuls ce qui fait un bon film. D’ailleurs, écartons le sujet tout de suite, non, les acteurs de Spotlight ne sont pas mauvais. Est-ce qu’ils sont « bons » pour autant ? Difficile à dire. En général il y a trois catégories d’acteurs (ou de performances, disons): les bons acteurs, ceux qui offrent une prestation relativement mémorable en jouant bien quelque chose qui peut être difficile à jouer, les mauvais acteurs, ceux dont la sincérité peine à être ressentie ou qui nous font rire tellement leur jeu est à côté de la plaque, et enfin les acteurs qui « font le job ». Les acteurs de Spotlight font partie de cette troisième catégorie. C’est-à-dire qu’il n’y a rien de précis à redire sur leur jeu, mais qu’en même temps, est-ce qu’on peut vraiment considérer comme du « jeu » le fait de réciter des informations nécessaires au récit sans y apporter d’émotion particulière ?… Après tout, vous jugerez vous-même, il y a plus important à voir concernant ce film (pour résumer, les acteurs offrent ici une performance tout à fait banale qui ne joue ni en faveur ni en défaveur du film).


Bref, revenons-en à ces fameux « vecteurs de sens » et voyons ce qu’ils ont à offrir… Et là, tout s’explique quant à la médiocrité du film: dans Spotlight, ni le cadrage ni la mise en scène ni le montage ne sont pensés de façon cinématographique. Aucune information ne nous est transmise, à aucun moment que ce soit, par ces éléments. Le tout n’est finalement qu’un support pour qu’on puisse bien voir qui est en train de parler. C’est d’une monotonie permanente et d’un ininitérêt abyssal. Autrement dit, un album photo, voire même un livre (je ne dénigre pas la littérature, simplement quand on choisit un moyen d'expression plutôt qu'un autre, il faut savoir s'en servir) aurait amplement fait l’affaire pour raconter ce que raconte Spotlight. Or, ce qui fait un bon film, c’est justement le fait que le cadre, la mise en scène et le montage soient suffisamment intelligents et bien utilisés pour que ce qu’on nous montre ne puisse être retranscrit autrement qu’en film… Non ?
Bref, tant pis, il reste encore quelque chose qui peut sauver ce film du naufrage artistique absolu. Quand un film décide de renier tout ce qui fait qu’il en est un, il reste toujours un espoir. Un espoir mince, mais un espoir quand même: le scénario. Mais attention, dans des cas comme celui-là, où tout est bien parti pour que le film soit nul, il faut que le scénario soit absolument béton. S’il est mal écrit, inintéressant, s’il comporte des incohérences, si les personnages ne sont pas assez attachants, tout ça tout ça, etc. le film est foutu. Qu’on soit d’accord, le scénario est bien la dernière chose qui peut le sauver, et pour compenser avec le gros tas de médiocrité que constitue le reste, il faut qu’il soit absolument parfait. Et là… Comment dire…


L’histoire qui nous est contée est historiquement correcte, d’accord, mais est-ce vraiment tout ce qu’on demande à une oeuvre de fiction ? Car non, un biopic ou un film « historique » ou « inspiré d’une histoire vraie » n’est pas à ranger dans la catégorie « documentaire » (encore que sur la véracité absolue des documentaires, il y aurait encore bien à dire…). Prenez Amadeus par exemple (oui, le sujet n’a rien à voir, mais on s’en branle), bon bah niveau vérité historique ça se pose là, mais il n’en reste pas moins que le film est génial, parce qu’il est bon en tant que film, en tant qu’oeuvre cinématographique, tout simplement. Le gros problème de Spotlight est que le film ne consiste qu’à nous répéter ce qu’on répète déjà nous-même depuis plus de dix ans. On connaît tout ça, on critique tout ça, bref une énième saillie envers l’Église catholique ne peut avoir d’intérêt que si elle nous apprend quelque chose de nouveau, ou si elle joue la provoc’ en l’attaquant avec une violence encore jamais vu jusqu’alors (bien que là encore, il y aurait bien des choses à dire sur la violence et la subversion au cinéma). Mais là non, tout est plat. Tout ce que nous raconte le film est d’une édulcoration totale. Comment un film qui se contente de retranscrire, sans aucun réel parti pris, des évènements sur lesquels on gueule déjà depuis aussi longtemps peut être considéré comme un aussi bon film, non pas par l’Académie des Oscars (eux, ces vieux séniles, je peux encore comprendre, bien qu’ils aient eu un éclair de génie en 2015 avec Birdman), mais par la foule, qui connaît déjà tout ce que ce film a à leur répéter… Je sais pas… Je me le demande encore…


Bref, Spotlight est un film à chier (pas à chier dans le sens où il est tellement mauvais et pute qu’il en énerve, mais à chier dans le sens où le sentiment d’avoir perdu plus de deux heures d’existence se ressent immédiatement après son visionnage), et pour terminer je reprendrais cette citation que j’adore, du collègue JanSeddon: « On pourrait aller jusqu’à qualifier McCarthy de réalisateur cinématographiquement analphabète. »
Sa critique est là, et elle est sûrement mieux écrite que la mienne: http://www.senscritique.com/film/Spotlight/critique/83560468

Tartinovski

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