Harmony Korine deviendra, dans quelques années, un réalisateur totalement incompris. Refn a tendance à vivre les mêmes dénigrements (justifiés ?) sur ses films, notamment Drive, que le grand public a pris pour ce qu'il n'était pas : un film de bagnoles et de bling-bling. Quant à moi, c'est désormais quelqu'un que je prends au sérieux. Et ça aide à prendre du recul sur ce que l'on voit et à ne pas le juger à l'emporte-pièce. Spring Breakers assume les défauts de ses ambitions et saute les pieds dans le plat, quitte à laisser une large partie de l'audience dubitative. Si Spring Breakers se vautre parfois dans une mise en scène tapageuse au style dégueulant, il est la partie cachée d'un The Bling Ring, la version non censurée et exacerbée d'une jeunesse américaine en grande détresse et qui veut exister. Le film de Korine retrace les vacances d'un groupe de quatre jeunes femmes qui, pour se les payer, braquent un restaurant. Dans cette quête assassine de liberté, toutes vont se découvrir une chose en commun : la recherche de leur propre identité. Elles vont faire la rencontre de Alien, le plus grand des bad boys de l'île, qui représente tout ce que la société interdit. La désinhibition la plus totale est alors à portée de mains...


A l'aide d'une caméra toujours en mouvement, de gros plans constants et de ralentis superficiels, Korine s'affirme comme étant le maître du temps, l'horloger de ces femmes qu'il contrôle de bout en bout et avec lesquelles il va raconter une histoire : celle d'une jeunesse paumée, souvent embrigadée, qui n'est rien mais qui veut tout contrôler, qui n'a rien mais qui veut sans cesse tout avoir. L'absence de repères totale est partout et tout le temps, ce Spring Break représentant un havre de paix pour trois d'entre elles. La musique électro les enveloppe dans un cocon artificiel, toutes sont à la recherche d'une expérience qui les rendra vivantes au sortir de leur adolescence. Si Korine choisit des scènes plus trash les unes que les autres, c'est pour mieux créer un antagonisme avec ce qu'elles ne sont pas : des individualités. Elles forment une masse indistincte, une paire de seins parmi d'autres paires de seins, des cadavres se déhanchant sur la piste au rythme des cliquetis d'armes. Le tempo du film est volontairement lent alors que le montage est parfois très rapide, elles sont coincées à contre-temps dans un monde qu'elles ne déchiffrent pas et dont elles se libèrent. Le montage est fait de telle manière que passé, présent et futur s'entrechoquent pour ne former qu'une idée incertaine et en perpétuel mouvement de l'instant présent. La vacuité apparente de la réalisation n'a d'égale que l'ambition inexistante de ces nymphes corrompues du système. Elles sont des coquilles vides et se nourrissent à l'excès.


Le personnage de Alien est très intéressant puisqu'il est la symbolique de toutes les prohibitions. Spring Breakers surfe sur l'interdiction d'interdire, repoussant sans cesse les limites obsolètes de ses protagonistes et Alien en est le principal instigateur. Il est l'allégorie de la violence, de la drogue, de l'Amérique armée, conservatrice, dopée au fric et aux filles. Ce personnage aux antipodes du réel adore Britney, qu'elles vénèrent aussi, joue sans cesse sur le matérialisme, provoque la bisexualité avec une ardeur toujours excentrique (la scène des armes où il mime une fellation) et une volonté viscérale de piétiner les tabous. Il est ce que le monde déteste ou plutôt, une image d'un monde qui tend à le devenir. Ceux qui méjugent Harmony Korine et son film se trompent : il s'agit ici de la représentation exacerbée des plus grands vices de la jeunesse, ce n'est pas juste un film de plus ou de moins, et le réalisateur a cette capacité extraordinaire à instaurer du corps à son propos et à le mettre en perspective. Il juge, de par son hors champ inexistant et la désinvolture totale de ses personnages, l'action qu'il nous montre, mais laisse aussi une certaine liberté au spectateur pour saisir le sens de ce qu'il montre. La formalité aurait été de peindre un cliché basique et sans charisme ; l'esthétique à outrance peut aussi rimer avec sens et discours social. Ce n'est pas un film, c'est un essai, la température d'un constat à chaud.


Le casting est assez égal. James Franco tire évidemment son épingle du jeu, avec un rôle démesurément extraverti, qui dénote avec sa filmographie. Sa prestation m'a rappelé celle de Joseph Gordon-Levitt dans Hesher par la surprise que m'a procurée son jeu. Je retiens du casting une Ashley Benson qui tient bien son rôle, plus compliqué qu'il n'y paraît, et Rachel Korine, tête de parti et véritable cocotte-minute en puissance. J'ai particulièrement apprécié le travail de Harmony Korine, qui prend des risques avec un contre-film en mouvance de notre époque, toujours avec cette même pugnacité à affirmer sa différence et à faire de ses films des êtres hybrides alors qu'ils sont, pour lui, totalement maîtrisés. Spring Breakers est la quintessence d'une déstructure chronique où la solidarité n'est qu'une géante disharmonie, où plus rien n'existe si ce n'est la progression individuelle vers un simili nirvana, faute de repères. Une vision tranchante, symbolique d'une tendance propre à un certain courant, où je ne me retrouve pas mais qui me passionne par son caractère inaccessible et complexe.

EvyNadler

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