Revoir un printemps

LA pure claque visuelle de l'année! "Spring Breakers" est à mes yeux une petite tuerie, une expérience sensorielle unique dont on peut difficilement ressortir indemne.

Déjà, écartons tout malentendu sur la nature du film. En raison d'une promo tapageuse et de la présence des Disney girls Vanessa Hudgens et Selena Gomez, certains ont pensé que "Spring Breakers" serait un teen movie sucré autour des fameuses "vacances de printemps" dont raffolent les étudiants américains.
Il n'en est rien : Harmony Korine a réalisé un film d'auteur, c'est à dire une oeuvre centrée sur la forme davantage que sur le fond (le récit).

En effet, l'histoire est très simple, mais la façon dont elle est racontée sort complètement de l'ordinaire, en raison de parti-pris formels radicaux :
- un travail de malade sur la photo avec une profusion de couleurs saturées, de contrastes saisissants, à l'image de ces bikinis et cagoules fluorescents dans la nuit de Miami.
- un montage clippesque hallucinatoire, avec ces bruits de chargement d'une arme au moment des cuts.
- une bande son dantesque, signée notamment Skrillex et Cliff Martinez, entre sons électro-techno (comme dans ce pré-générique de ouf qui pose le décor) et ambiance hip-hop, plus les tubes de Britney qui illustrent si bien l'idéologie de ces gamines.
- des cadrages barrés (voir l'affiche), des ralentis psychédéliques, des flashbacks, une esthétique onirique très personnelle et pourtant symbolique de notre époque jusqu'à l'évidence.

"Spring Breakers" est à mon avis un petit chef d'œuvre car il justifie totalement l'intérêt du cinéma et lui donne tout son sens : à savoir qu'on sort de la salle sans trop comprendre la signification des messages contenus dans le film, on ne saurait pas forcément les verbaliser, mais on est certains que ces messages existent...
Korine est parvenu à embrasser son époque et à décrypter la génération actuelle.
Dans son récit assez basique, que l'on pourrait résumer à quelques scènes-clés, tout semble avoir un sens.

D'autre part, "Spring Breakers" me parle en tant que parcours initiatique, comme il doit parler à pas mal de jeunes de ma génération. J'ai rêvé moi aussi de cette vie idéalisée, de cet "arrêt sur image après avoir cliqué" comme le dit Faith. J'ai eu cette soif de liberté, cette quête d'absolu. J'ai été fasciné par les armes et l'illégalité, à l'instar de Candy et les autres. J'ai consommé drogues et alcool, j'ai consumé ma courte vie par les deux bouts.
Puis j'ai constaté l'impossibilité de cette utopie existentielle, je suis "retombé sur terre après avoir décollé, sans parvenir à rester en apesanteur" (cf les paroles de "Every Time" quand Alien est au piano).

Un mot sur les comédiens pour finir.
James Franco se montre excellent et parfaitement crédible dans un rôle pourtant pas évident (massacré dans la VF par contre).

De leur côté, les filles assurent sans problème, avec une mention spéciale pour la révélation Vanessa Hudgens, très à l'aise dans un rôle pourtant à l'opposé de ses précédents, qui lui permet de casser définitivement son image proprette. Vanessa se lâche complet : elle boit, fume, mime une fellation, joue à poil dans une scène torride de sexe à trois dans la piscine, bref on sent qu'elle s'éclate et n'a peur de rien..

La longueur de ma critique étant proportionnelle à la qualité de "Spring Breakers", vous aurez compris que je recommande ardemment le film de Harmony Korine - qui en revanche rebutera complètement certains spectateurs, j'en suis bien conscient.